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Le feu à la boulangerie

La porteuse de pain Sommaruga a beau laisser croire le contraire: la Suisse est de plus en plus un pays comme un autre. La preuve par l’an neuf.

Ainsi donc le monde entier, à vrai dire surtout la France voisine, s’est tantôt enthousiasmé, tantôt gaussé des vœux de la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga adressés depuis sa boulangerie bernoise.

Gaussé parce que, dans le ton et la forme, ces digressions bienveillantes pouvaient facilement apparaître à un esprit détaché comme fort gnangnans, limite nunuches. Enthousiasmé parce que, vu de l’extérieur, c’était un peu l’enviable parfum d’un pays exceptionnellement heureux et sans histoires dans un monde malheureux et agité qui pouvait sembler monter de ce douillet fournil.

Le problème avec ces vœux-là, c’est surtout qu’ils n’avaient pas grand-chose à voir avec la réalité. C’était évidemment bien gentil de nous souhaiter la santé pour nous et nos proches, en plus de l’assurance de trouver toujours du bon pain frais à la boulangerie du coin. Sauf que les premiers jours de l’an neuf sont vite venus rappeler que, non, la Suisse n’était pas un havre préservé, où les citoyens pataugeaient dans la béatitude la plus angélique, que ce pays-là, pour tout dire, était absolument un pays comme un autre.

La présidente avait en effet à peine quitté sa boulangerie que trois djihadistes suisses de l’Etat islamique, deux hommes et une femme, atterrissaient à l’aéroport de Zurich, transférés depuis la  Turquie. Un rapatriement, selon les autorités turques, qui a eu lieu en coopération avec le Département fédéral des affaires étrangères. On ne sait pas si ces chers enfants prodigues ont été accueillis sur le tarmac avec des croissants chauds.

Dans le même temps ou presque, se tenait à Renens le procès d’activistes du climat qui avaient occupé une filiale de Credit Suisse pour protester contre les investissements de la banque dans les énergies fossiles. Des énergies indispensables à la croissance, est venu témoigner un spécialiste de la branche, qui elle-même se révèle indispensable à notre valeureuse et fameuse place financière: pour que l’industrie, si l’on a bien tout compris, puisse payer les taux d’intérêt des dettes contractées auprès de la dite place. Bref non seulement la catastrophe climatique n’épargne pas le pays de la miche heureuse, mais se trouve partiellement produite et financée par lui.

Sans parler du président du Grand Conseil vaudois, UDC, agriculteur et syndic de son village, bref un profil de client type des boulangeries de terroir. Mais dont il apparaît hélas qu’il a été condamné pour menaces qualifiées et tentatives de menaces qualifiées envers son ex-épouse, avec bris de guirlandes lumineuses et jet de balais. La violence conjugale en plein pays d’Heidi.

Sans compter qu’en promettant du pain frais et de la santé pour tous, Sommaruga dans sa boulangerie s’était peut-être un peu avancée. S’agissant de la santé en tout cas, avec un système de soins qui se révèle année après année comme le plus cher du monde. Et qui n’empêche pas nos hôpitaux de se voir qualifiés, dans le quotidien Le Temps, de «grands malades». Seuls 7 des 44 établissements examinés par le consultant PwC dans son étude annuelle, affichent la marge de 10% jugée nécessaire pour pouvoir financer les investissements de manière autonome à long terme. Ce qu’un autre grand maître du stand-up politique, Johann Schneider-Amman, avait magistralement résumé en son temps: le rire, c’est bon pour la santé.

Mais peut être après tout fallait-il voir dans le speech farineux de la boulangère Sommaruga un lourd message subliminal. À savoir que les Suisses en 2020 risquaient bien de se retrouver, comme tout le monde, dans un drôle de pétrin.