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30 ans d’industrie: entre crises et innovation

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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Mécanisation, production de masse, l’automatisation… Les révolutions se sont succédé au sein du secteur industriel. Alors qu’elle investit désormais dans la digitalisation de ses outils et de ses produits, l’industrie représente 15% des entreprises du pays et compte pour un quart du PIB suisse. Le secteur secondaire est néanmoins sous pression, en raison de la concurrence croissante des nouveaux pays industrialisés et de l’émergence de grands groupes mondiaux nés de fusion d’entreprises. La production industrielle a évoluée différemment selon les branches: elle a par exemple doublé dans l’industrie pharmaceutique mais diminué de plus de 20% dans celui du textile et de l’habillement. Retour sur les crises et les défis qui ont marqué le secteur ces trois dernières décennies.

1. Déclin des années 1980

A l’aune de la crise économique mondiale des années 1970, une désindustrialisation par vagues frappe l’économie suisse. De nombreuses usines historiques suspendent leur production. Tandis que l’industrie perd du terrain, le secteur des services s’affirme lui en forte progression. En 1960, 46% des actifs travaillaient dans l’industrie, alors qu’ils ne sont plus que 24% en 2019, selon l’OFS. De fait, les Suisses sont trois fois plus à travailler dans le tertiaire aujourd’hui.

Les difficultés se poursuivent dès 2007 suite à la crise mondiale des subprimes. Son impact se ressent dans tous les secteurs économiques. En Suisse, les plus atteints sont les industries dépendantes de l’exportation, soit celles des machines, du textile et de l’horlogerie. Néanmoins de nouveaux secteurs de pointe comme les biotechnologies émergent alors. «La force de l’industrie suisse réside dans sa capacité d’innovation et son réseau de PME très dynamiques, explique Olivier Haegeli, codirecteur de l’entreprise jurassienne Willemin-Macodel, spécialisée dans la fabrication de machines-outils de précision. L’étroitesse du marché suisse oblige les industries à se tourner vers le marché d’exportation et donc à se maintenir à la pointe de la technologie et de la demande pour rester compétitifs.» «On ne sait jamais quelle va être la durée de la crise, si la reprise sera rapide ou progressive, complète Cédric Bourquard, directeur général de Pibor Iso à Glovelier, entreprise jurassienne active dans la fabrication d’habillages horlogers et la microtechnique. Les industries doivent donc constamment chercher de nouveaux marchés, investir, et axer sur la formation pour rester concurrentiels aux changements.»

2. La fin du taux plancher

Après une reprise de croissance soutenue, l’industrie manufacturière subit un nouveau contrecoup en 2015 avec l’abandon du taux plancher entre le franc et l’euro décidé par la Banque nationale suisse (BNS). La mesure financière entraine une baisse de production générale. «L’exportation est devenue immédiatement plus compliquée, se souvient Vincent Comte, directeur d’Electromag. Nous avons finalement réussi à nous en sortir en augmentant notre productivité grâce à l’automatisation, en montant les prix, tout en réduisant nos marges.»

Face à la crise, de nombreuses entreprises suisses délocalisent vers l’Europe de l’Est et l’Asie, à l’instar de Bucher Industries, constructeur de machines agricoles et de véhicules municipaux, qui quitte le canton de Zurich pour la Lettonie. Les entreprises étrangères possédant des filiales en Suisse effectuent elles aussi des transferts d’employés. Selon un rapport de la BNS, 65% des entreprises interrogées à l’époque considèrent que la mesure financière a eu une incidence négative. «Cette décision a en effet imposé une forte pression aux entreprises qui se sont vu obligées de rationaliser pour augmenter leur productivité, remarque Xavier Comtesse, cofondateur du think tank «Manufacture 4.0». C’était néanmoins positif puisque cette compétitivité obligatoire a permis à la Suisse de devenir le premier pays de l’innovation.»

Le secteur secondaire a repris sa croissance en 2017 avec une hausse de production de 4,4%, mais les dirigeants d’entreprises observent désormais avec prudence la conjoncture mondiale, à l’instar du ralentissement de l’économie allemande. «Depuis quelques mois, les marchés deviennent plus tendus, indique Olivier Haegeli, codirecteur de Willemin-Macodel. Les différentes guerres commerciales, comme celle entre la Chine et les Etats-Unis, créent un climat délétère d’incertitude économique.» Ainsi, en septembre 2019, l’indice de confiance PMI des directeurs d’achat de l’industrie suisse enregistrait son niveau le plus bas depuis 2009.

3. Essor de l’industrie 4.0

«Les nouvelles technologies permettent de gagner en productivité, en efficacité et en qualité, constate Olivier Haegeli. Nous ne pouvons plus usiner des pièces sans les accompagner d’un suivi digitalisé, c’est une adaptation nécessaire, d’autant plus qu’elle est souhaitée par nos clients.» L’industrie vit sa quatrième révolution. Baptisée industrie 4.0, cette nouvelle génération d’usines connectées mobilise désormais l’intelligence artificielle et la robotique.

Selon une étude menée par le bureau de conseil Ernst&Young sur un panel d’entreprises suisses en 2018, 45% des sociétés ont déjà mis en œuvre des aspects de l’industrie du futur. Elles consacrent en moyenne 5% de leur chiffre d’affaires à ces investissements, situés principalement dans l’adoption de solutions logicielles et dans le recrutement de collaborateurs qualifiés. Pour Cédric Bourquard, directeur général de Pibor Iso, «l’industrie 4.0 représente également une évolution des structures industrielles, avec un management plus participatif et une revalorisation des métiers en concordance avec la digitalisation.»

Avec l’initiative nationale «Industrie 2025», l’association professionnelle de l’industrie des machines SwissMem encourage et sensibilise les industries à adopter le tournant numérique. Dans son rapport sur l’évolution de la force d’innovation de l’industrie suisse entre 1997 et 2014, l’Académie suisse des sciences techniques invite elle aussi les entreprises à innover sous peine d’être rapidement dépassées. Pour Xavier Comtesse, cofondateur du think tank Manufacture 4.0, «grandes et petites entreprises n’ont pas le choix: si elles ne changent pas, elles sont condamnées».