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L’attaque de la diligence

Cela faisait longtemps que le parlement ne s’était plus occupé de diligences. Non pas les bonnes vieilles voitures à chevaux qui servaient au transport des voyageurs mais la «diligentia». Autrement dit le soin, l’attention, voire même l’empressement que l’on peut mettre dans l’exécution de certaines tâches. Cette diligence-là, c’est un peu l’oeuf de Colomb du Conseil des états qui ne savait plus comment se débarrasser d’un épouvantable mistigri: l’initiative «pour des entreprises responsables».

Laquelle exigeait que les entreprises domiciliées en Suisse puissent être tenues responsables du respect des droits humains et des normes environnementales, notamment s’agissant de leurs filiales à l’étranger. Ce qui aurait permis aux victimes, en cas de violation, de saisir la justice suisse.

Ce paquet-là sent tellement le souffre qu’il a été baladé depuis 2016 sous la coupole, dans un va et vient incessant. Les initiants avaient en effet eu la sagesse – ou la perversité? – d’annoncer qu’en cas de contre-projet convaincant ils retireraient leur texte. Tout aussitôt le Conseil fédéral s’en était courageusement lavé les mains. Si contre-projet il y avait, il ne viendrait pas de lui. Après de nombreuses péripéties le Conseil national avait proposé, lui, un texte certes quelque peu édulcoré mais qui semblait satisfaire les initiants.

Sauf que patatras le Conseil des états vient de corriger le tir avec un contre-projet que ces mêmes initiants ont aussitôt qualifié «d’alibi». Le nouveau texte repose en effet sur cette fameuse notion de «diligence». À savoir la seule obligation pour les entreprises de plus 500 employés et réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions de francs, de rendre un rapport annuel détaillant leur politique en matière de droits de l’homme.

Bref les multinationales – car c’est bien elles qui sont visées, tout spécialement celles, comme le géant Glencore, actives dans le domaine des minerais et moult fois accusées de pollution grave des sites ou de recours au travail des enfants – seraient tenues à un «devoir de diligence accru». Ce qui signifie qu’elles se retrouveraient simplement devant l’obligation de respecter la règle ou à défaut d’expliquer pourquoi ce n’est pas le cas. On tremble pour elles.

Il faut dire que les multinationales font depuis longtemps partie de l’ADN de la Suisse, participant activement à la légendaire prospérité de ce pays, Pour la droite bourgeoise et les milieux économiques, le dilemme était particulièrement cruel: étrangler la poule aux œufs d’or ou assumer ouvertement des pratiques pas loin du grand banditisme Reconnaître, quand il s’agit de gros sous, que l’environnement et les droits humains, on peut bien s’asseoir dessus.

C’est sans doute pourquoi cette géniale trouvaille de la diligence plaît tant à droite, et d’abord à la conseillère fédérale en charge du dossier, Karin Keller-Sutter. Qu’on ne pourra pas accuser de langue de bois quand elle décrète que seules sont acceptables «des solutions développées en concertation internationale pour ne pas nuire à la place économique suisse».

Economiesuisse d’ailleurs – qui n’a jamais été connu pour son humour désopilant – qualifie, dans l’enthousiasme et sans rire, le contre-projet «d’incisif». Pensez donc: les loups seront tenus d’expliquer comment ils se comportent avec les moutons et s’ils en croquent un ou l’autre, d’expliquer pourquoi ils n’ont pas pu faire autrement. Sans sanction aucune ni possibilité, pour les moutons, de saisir la justice.

Bref, il est désormais plus que probable que l’affaire soit désormais tranchée par le peuple, auprès duquel il n’est pas certain que cette diligence bancale fasse un vrai carton.