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Combattre les idées reçues du marché du travail

Est-ce vraiment une mauvaise idée d’engager un senior? Est-ce mieux d’engager quelqu’un déjà en emploi plutôt qu’un chômeur? Le temps partiel est-il un ennemi de la productivité? Des experts commentent quelques préjugés tenaces.

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Trop âgé, au chômage, pas assez formé… «Je me suis rendue compte que beaucoup de mes clients avaient les mêmes inquiétudes basées sur des idées préconçues, explique Fabienne Revillard, coach, formatrice et business consultante à Genève. Je travaille donc à déconstruire ces préjugés qui freinent les carrières professionnelles.» Depuis la création de son cabinet en 2007, l’entrepreneuse a conseillé plus de 1’000 personnes dans le bassin genevois, 75% d’entre elles ayant entre 30 et 50 ans. Elle décrypte les légendes urbaines du monde du travail en compagnie de Joëlle Rossier, conseillère en RH et recrutement et experte en communication non-verbale.

1. Mieux vaut ne pas engager des collaborateurs de plus de 50 ans

En Suisse, 28% de chômeurs avaient plus de 50 ans en 2018 selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Les seniors ne sont donc pas plus touchés par le chômage, mais y restent sensiblement plus longtemps. Ils passent en moyenne plus de six mois à la recherche d’un nouvel emploi. Autre phénomène inquiétant: le basculement des seniors à l’aide sociale. Entre 2005 et 2017, le taux de personnes faisant appel à ce type de soutien a ainsi augmenté de 53% pour les 55 à 64 ans et 22% pour les 46-54 ans selon l’OFS.

«Beaucoup doivent se paupériser avant d’obtenir de l’aide, constate Stephan Der Stepanian, responsable du programme AvantAge de ProSenectute qui accompagne les personnes de plus de 50 ans dans leur réinsertion professionnelle. Toute la problématique créée autour des chômeurs âgés de longue durée suscite des inquiétudes dans les entreprises. Il faut absolument changer cette image et les considérer comme des ressources.»

«L’image du cinquantenaire gris, vide et apathique est complètement dépassée, assure Fabienne Revillard. Ils sont, pour la plupart, au contraire de vrais atouts pour une entreprise: ils apportent leur expérience, leur savoir-être et sont moins susceptibles que beaucoup de jeunes face à la critique.» Les personnes de plus de 50 sont sécurisantes pour les employeurs, estime Joëlle Rossier: «L’expérience est un manteau qui ne se prête pas!»

A l’argument que les seniors seraient trop chers et n’auraient pas suffisamment de compétences numériques, Stephan Der Stepanian rétorque: «Pour les PME les différences qu’il peut y avoir sur les charges sociales peuvent représenter un frein, néanmoins ces questions de salaire sont négociables. Quant au digital, la plupart se sont adaptés aux nouvelles réalités du travail: ils ont un profil LinkedIn, sont actifs sur les réseaux sociaux et savent postuler via internet.» Le programme AvantAge encourage ainsi les politiques intergénérationnelles où jeunes et seniors collaborent.

2. Il vaut mieux engager une personne en emploi plutôt qu’un chômeur

«Je constate de manière flagrante une dichotomie entre les personnes en emploi qui peuvent être démotivées et celles au chômage qui sont souvent énergiques, dynamiques et veulent retravailler, explique Fabienne Revillard. La personne au chômage n’est en général pas blasée, elle a eu le temps de rebondir.» Cet argument du repos est aussi avancé par Joëlle Rossier: «Les employeurs recherchent des personnalités dynamiques qu’ils auront envie de côtoyer. Quelqu’un qui a eu le temps de prendre un peu de recul, de se reposer, est ainsi souvent en meilleures dispositions qu’une personne en emploi encore en colère ou parfois épuisée.»

Les chômeurs représentent 2,2% de la population en octobre 2019 selon l’OFS. Parmi eux, le nombre de chômeurs dits de longue durée (soit depuis plus d’une année) a augmenté de près de 2% par rapport à 2017 pour atteindre une part de 39%. Pour revenir sur le marché du travail, ces personnes doivent faire face au mythe de l’érosion des capacités par l’inactivité. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui pour Fabienne Revillard: «Les personnes au chômage – par crainte d’être dépassées – se tiennent au courant de l’actualité de leur profession et suivent des formations pour se perfectionner, ce que les employés n’ont souvent pas le temps de le faire.»

3. Le temps partiel est un ennemi de la productivité

Plus d’un tiers de la population active suisse travaille à temps partiel, soit 1,7 million de personnes. Leur part a augmenté de 8% en dix ans, ce qui fait de la Suisse, avec les Pays-Bas, un des pays qui pratique le plus le temps partiel, indique l’OFS. «Ce temps de travail réduit doit cependant être justifié, appuie Joëlle Rossier, conseillère en RH et recrutement. Que ce soit un besoin de temps pour des enfants, pour une passion musicale ou un sport, il est nécessaire d’avoir une explication claire à fournir sur ce choix.»

La différence entre hommes et femmes demeure considérable: elles sont 59% à occuper un poste de de ce type, contre 18% d’hommes en 2019. Le temps partiel masculin reste parfois difficile à obtenir. Fabienne Revillard témoigne: «J’ai suivi le cas d’un trentenaire qui travaillait dans les RH et qui souhaitait un temps partiel de 80%. Il s’est heurté à l’incompréhension due au fait qu’il soit un homme sans enfant voulant davantage profiter de ses loisirs. Or un employé qui est épanoui dans sa vie sera aussi plus investi au travail, fera moins de présentéisme et sera donc plus productif. Au final l’entreprise n’a absolument pas regretté.»

En effet, le temps partiel peut permettre aux employés de limiter la pression qu’ils ressentent au travail. Selon le Job Stress Index de Promotion Santé Suisse, plus d’un travailleur sur quatre est soumis au stress au travail. Cette pénibilité coûte aux employeurs quelques 6,5 milliards de francs par an, ce qui correspond à environ 1% du PIB de la Suisse. Enfin, l’ubérisation de l’économie entraine également le développement de nouvelles formes de travail, comme les slasheurs, qui cumulent plusieurs emplois et travaillent donc généralement à temps partiel pour jongler entre leurs différentes activités.

4. Les PME forment moins bien que les multinationales

«Cette idée commence à être dépassée concernant la formation interne des employés, soutient la coach Fabienne Revillard. Aujourd’hui les entreprises peuvent faire appel à des organismes extérieurs, où différents collaborateurs se retrouvent pour une même formation.» Les multinationales ont de plus grandes structures mais s’avèrent aussi plus impersonnelles et moins flexibles. En 2018, les jeunes diplômés étaient moins d’un quart à envisager de démarrer leur carrière dans une grande entreprise, contre 33% un an plus tôt, selon le cabinet de conseil Accenture Strategy.

«Les PME ont une taille et une flexibilité qui peuvent permettre de découvrir une diversité de tâches alors que les multinationales offriront un cadre plus défini et un environnement de travail plus international», renchérit Dunvel Even, responsable du centre de carrière de l’Université de Neuchâtel Les diplômés observent donc des avantages et des inconvénients dans les deux types de structures. Pour Joëlle Rossier, «l’idéal reste de vivre les deux expériences professionnelles pour diversifier son parcours».

5. Il est difficile de changer de carrière

«L’idée de choisir un métier pour toute la vie suscite un stress énorme, particulièrement chez les jeunes, constate Fabienne Revillard. L’experte remarque d’ailleurs une augmentation des demandes de reconversion professionnelle de la part de sa clientèle. «Aujourd’hui, la quête de reconnaissance sociale, de pouvoir, de richesse tend à diminuer: mes clients montrent une volonté de contribuer à la société, ils recherchent un sens à leur travail ainsi que leur épanouissement personnel.»

En Suisse, une personne sur cinq pense avoir choisi le mauvais métier, selon une étude du prestataire RH Kelly Services. Si 40% des hommes et 49% des femmes suisses «auraient finalement préféré embrasser une autre carrière», la tendance actuelle du marché de l’emploi tend vers les reconversions et encourage la mobilité professionnelle. Ainsi, chez les 40-54 ans, ils étaient 4,2 % à changer d’emploi en 1993, mais près de 7% en 2018. Cette tendance se retrouve aussi chez les 25-39 ans, dont la mobilité s’est accrue de près de 60% en 25 ans selon l’OFS.

«En premier lieu la personne doit définir ses envies et ses besoins financiers pour amorcer sa reconversion professionnelle, explique Joëlle Rossier. Ainsi, je leur conseille dans un premier temps de reprendre directement un emploi, quel qu’il soit, pour leur permettre de garder un cadre constructif et de mettre en place une stratégie de transition.» Trouver un nouvel emploi à plus de 50 ans représente une réelle opportunité de se rediriger vers un poste plus adapté à sa personnalité ou à son expérience, dit Stephan Der Stepanian, responsable du programme AvantAge: «Cela peut même amener une meilleure stabilité dans le travail.»

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Idée reçue: ces gestes qui nous trahissent en entretien d’embauche

Gestes, postures, regards, le langage non corporel traduit inconsciemment ce qui n’est pas exprimé par la parole. Décryptage.

«La synergologie est un outil intéressant pour le recrutement, puisqu’il permet de mieux interagir et comprendre un interlocuteur, explique Joëlle Rossier, consultante RH et experte en synergologie. Mais c’est une approche bienveillante qui se positionne en recherche de la vérité et plutôt que du mensonge.»

C’est une discipline vivante utilisée dans les domaines de la sécurité, la police, les soins ou aussi les RH. Les entretiens d’embauche peuvent être un moment particulièrement angoissants et font l’objet de nombreuses fausses croyances. «Une main devant la bouche n’est pas signe de mensonge mais peut être de la timidité, de la gêne ou une volonté de ne pas trop en dire. Croiser les bras ne veut pas dire que l’interlocuteur est fermé, mais représente plutôt une posture naturelle de repos, de la même manière qu’un changement de position sur son siège traduit l’amorce d’une nouvelle réflexion plutôt qu’une impatience.»

Autant d’idées reçues qui sont particulièrement anxiogènes pour les candidats. «Elles bloquent leur naturel alors que le succès d’un entretien réside dans le fait de rester soi-même naturel. En effet, chaque décision est prise dans le cerveau jusqu’à dix secondes avant que la personne en ait conscience et qu’elle l’exprime. Le geste précède alors souvent la parole.» Un autre exemple traitant de la latéralité, le côté gauche est celui du personnel, des émotions et des valeurs, tandis que le côté droit est celui lié à l’Autre, à l’organisation.

Ainsi, un visage qui nous montre la joue gauche représente le lien avec l’interlocuteur, alors que tendre la joue droit projette une intention d’analyse, de retenu ou vigilance. «Un œil gauche qui se ferme traduit ainsi un stress émotionnel, tandis qu’à droite ce sera d’ordre intellectuel. La synergologie permet alors d’insister là où pointent les doutes.» Plus globalement, les modèles synergologiques se basent sur une sémantique non-verbale complète vue par l’émotion, la relation et la cognition. Développée par Philippe Turchet, un spécialiste en sciences du langage, cette approche se situe au carrefour des neurosciences, de la communication et du langage. «Elle propose des réponses très utiles à nombre de situations professionnelles et interactionnelle» conclut Joëlle Rossier.