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Prévention, poil au menton

Les premiers pas du nouveau parlement confirment déjà quelques craintes: la législature à venir risque de s’apparenter à une incessante et infructueuse partie d’autos-tamponneuses.

Les croyants le promettent, au nom de Dieu, les athées le jurent, au nom de rien. Voilà déjà le nouveau parlement divisé en deux, dès la prestation de serment de ses députés, au milieu d’enfants-libellules, de la flamme olympique et des hallebardes des Cent-Suisses. Entre aussi, des chansons patriotiques qui humidifient les paupières des plus sensibles, et des grincements rock dont le responsable n’est pas issu des nouvelles jeunes pousses vertes du parlement, comme on aurait pu le penser à la va-vite, mais le dinosaure de la chambre haute, le PS Hans Stöckli qui avait invité le groupe Pegasus, biennois comme lui.

De quoi se demander si le commentaire amusé de Christian Levrat – «C’est un peu le cirque aujourd’hui» – n’avait pas des accents prémonitoires, annonçant une législature trop agitée et clivante pour être efficace, entre un bloc conservateur UDC-PLR aux abois et une mouvance verte-féministe prête à manger du (vieux) lion. Avec au milieu un centre taquin s’amusant à jouer tantôt les uns contre les autres et le lendemain les autres contre les uns. Cirque qui avait d’ailleurs commencé devant le Palais fédéral avec une distribution de lavettes, raconte Le Temps, par un collectif féministe qui fournissait le mode d’emploi: «pour nettoyer le patriarcat du parlement».

Opération plutôt mal partie avec les traditionnels discours du doyen de fonction et du plus jeune élu, puisque qu’à nouveau on se retrouvait à front renversé: le plus ancien élu ( 2001) était une femme verte – la Bâloise Maya Graf – et le plus jeune élu, un radical zurichois de 25 ans, Andri Silberschmidt. Ce fut donc la doyenne qui s’enthousiasma pour la vague verte et féminine, le rajeunissement du parlement et la grève des femmes, tandis que revenait au benjamin la tâche plus ingrate d’entonner un hymne convenu à la compétitivité des entreprises.

Un semblant d’unité était retrouvé brièvement avec l’élection soviétique de la radicale vaudoise Isabelle Moret au perchoir. C’est elle qui avait d’ailleurs invité les enfants déguisés en libellules.  La même aussi que des adversaires sans argument avaient parfois surnommée la fée clochette, instrument dont elle disposera réellement cette fois et pendant une année.

La nouvelle première citoyenne du pays dans son discours inaugural a d’ailleurs prolongé l’ambiguïté, en prenant, pourtant radicale bon teint, une posture de quasi pasionaria du féminisme le plus échevelé, rappelant que son année de présidence verrait la célébration des 50 ans du suffrage féminin. Se réjouissant aussi de diriger le parlement le plus féminin de l’histoire et citant parmi les combats à mener celui pour l’égalité salariale, l’équité fiscale et une réforme des retraites à même de combler «le retard de 60% que les femmes accusent par rapport aux hommes concernant leurs rentes du deuxième pilier».

La Vaudoise a même eu une pensée pour la transition climatique et n’est redevenue elle-même que pour marteler le mot clé qui soutiendrait son mandat: «prévention». Sans doute le concept politique le plus vide qui soit, trop souvent utilisé comme oreiller de paresse pour justifier l’inaction la plus tenace, prévenir pouvant se transformer facilement en prétexte pour refuser de guérir. «Je préfère la prévention» s’avère généralement être l’antienne du politicien qui entend bien ne pas se salir les mains. C’est donc la prévention qu’Isabelle Moret propose en matière de catastrophes naturelles, de maintien de la paix et de politique de santé.

Toujours est-il qu’à peine les flonflons réduits au silence, les ailes des libellules repliées et les hallebardes rentrées, la guerre commençait aussitôt. Le radical Philippe Nantermod s’énervait d’entrée sur son compte Facebook: «La nouvelle composition du Conseil national se fait déjà sentir: refus clair de relever à 150’000 francs le seuil d’imposition de la TVA qui aurait allégé un peu la charge fiscale et administrative de dizaines de milliers de PME et d’indépendants en Suisse.»

À ses amis virtuels qui s’étonnaient que la droite ait pu laisser passer ça, le Valaisan répondait sobrement: «VL + PDC». Autrement dit les démocrates-chrétiens et les Vert’libéraux qui seraient venus sur ce coup appuyer la gauche. On l’a dit: cette législature pourrait bien être celle du centre taquin, si pas coquin.