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25. Le Forum de Davos a-t-il vécu ses dernières heures?

Vingt-cinquième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.

Résumé des épisodes précédents.

Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec la belle Frénésie, directrice de l’hôtel. D’autre part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. Une vue de la scène du drame est accessible ici.

Pendant ce temps, au village, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités. Lire ici le début du récit.

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Chapitre 25.

-Merci, chère Ruth, de bien noircir le tableau, ça va aider le commandant Moritz à prendre une décision.

Il jauge les paramètres. D’une part, ce qui compte, c’est la sécurité des VIP. Les forces de sécurité sont en mesure de l’assurer, un point c’est tout. D’autre part, le commandant Moritz a l’habitude de dire à la presse que la sécurité ne doit pas être offerte seulement aux ministres et aux chefs d’Etat. On la doit à chaque citoyen, même aux manifestants pacifiques.

De quoi le commandant Moritz aura-t-il l’air demain matin à la conférence de presse si les portables de messieurs les journalistes restent muets? Nos gazetiers déguerpiront en plaine pour annoncer les pires horreurs.

Par exemple: «Panique sur Davos». Ou bien: «Le Forum a vécu ses dernières heures». Ou bien: «La débâcle du commandant Moritz». Le plus habile des chargés de presse ne saurait tirer le commandant Moritz de ce mauvais pas.

Voilà pour le scénario catastrophe, le commandant Moritz dit toujours qu’il faut l’avoir en tête. Assurer, les gars, il faut assurer. Il disait cela quand il dirigeait les écoles de cadre de l’armée suisse. Il disait aussi: assumer personnellement, c’est à ça qu’on reconnaît l’étoffe du chef. Qu’en pense-t-elle, Ruth?

– Tu veux, chef, que je réveille Pascal? Il est dans le campement de service à l’étage au-dessous. Il pourrait assumer avec toi. Ou bien Kaspar? Il a toujours de bonnes idées.

Et comme ça, ils verront le commandant Moritz avec sa sale tête des grands jours, son teint gris et ses yeux rougis, son nez en trompette qui grandit comme celui de Pinocchio.

Il ne faut pas provoquer de tapage pour une chose dont on n’est même pas certain qu’elle arrive. Encore une fois, il faut imaginer ce que l’ennemi a en tête. Qu’est-ce qu’il transporte, ce Japonais? Combien de kilos dans son sac à dos?

– Mais chef, tu as bien vu, il porte juste une musette sous son anorak, pas de matériel, rien. Peut-être une barre de céréales dans sa poche et un flacon d’alcool de riz pour la route.

Alors pourquoi tant d’histoires? C’est bien ce que pensait le commandant Moritz tout au début: un type qui ne peut pas dormir avant sa manif et qui vient se ressourcer dans notre beau paysage alpestre. A moins que le commandant Moritz ne doive envisager le pire: cette crapule a placé sa charge il y a longtemps déjà et il ne vient sur place que pour la déclencher.

Trouver une parade sans affoler personne, une contre-attaque immédiate. Le commandant Moritz pourrait y aller personnellement, survoler l’endroit, se faire déposer devant le Japonais et dire simplement: vos papiers, s’il vous plaît. Et le type déjà condamné pour meurtre dirait: je t’attendais, Moritz, voilà pour toi. Il dégainerait très vite. Et boum, plus de commandant.

Ruth se désole aussi:

– Chef, tu ne vas pas te laisser décourager. Tu l’as dit toi-même dans une interview: l’esprit de Davos doit briller, il ne doit pas mettre le feu aux poudres. Est-ce que tu veux un Coca ou un autre chewing-gum?

Le commandant Moritz pourrait aussi balancer à ce type une lacrymogène depuis l’hélicoptère, c’est inoffensif, ça déclencherait peut-être une avalanche. Mais Ruth ajoute:

– Voilà un chose. Je voulais t’en parler il y a une semaine déjà, quand on a étudié les couloirs d’avalanche. Dans cette région, plusieurs charges ont été enfouies pour le déclenchement préventif des avalanches. Tout de suite après les chutes de neige, ça permet de provoquer des coulées. Ça se fait le matin tôt avant que les skieurs ne soient sur les pistes…

Au lieu de répondre, de signaler qu’une idée lui est venue, le commandant Moritz met son doigt devant la bouche et fait signe à Ruth de le suivre dans le bureau, juste à l’entrée de la salle de contrôle. Il referme la porte derrière eux, elle dit:

– J’ai compris, chef, ça t’a donné une idée et tu ne veux pas qu’on t’entende.

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi.
Lire ici le vingt-sixième épisode.

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.