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Le virus de l’europhobie gagne l’Italie

Depuis samedi soir, Renato Ruggiero n’est plus ministre des Affaires étrangères de l’Italie. Au-delà de la démission d’un ministre important, c’est une crise gouvernementale que doit affronter le pays. Une crise ressentie violemment par la presse de dimanche dont les grands titres, de La Stampa au Corriere en passant par La Repubblica, dénoncent avec une belle unanimité l’isolement où Berlusconi conduit l’Italie.

Ancien patron de l’OMC, Ruggiero était une figure singulière au sein du gouvernement italien. Personnalité de stature internationale, il ne s’est jamais présenté au suffrage des électeurs. C’est officiellement en qualité de «technicien» qu’il fut nommé aux Affaires étrangères.

En réalité, sa participation au cabinet Berlusconi symbolisait l’alliance entre les vieilles dynasties capitalistes comme les Agnelli et les forces émergentes, affairistes à la Berlusconi ou populistes à la Bossi.

Le fait que, malgré les attaques venues tant du camp de Berlusconi que de celui de Bossi, le ministre ait été soutenu par Alliance nationale (les postfascistes de Gianfranco Fini) montre bien que Ruggiero faisait le lien entre le vieux et le neuf, entre l’ancienne société italienne et la nouvelle. Que la nouvelle ait gagné de cette manière, et aussi rapidement, fait plutôt froid dans le dos. Ce succès annonce l’arrivée inéluctable d’un «régime» Berlusconi. A moins que ses adversaires se reprennent et lancent une contre-offensive civique et politique.

C’est pour l’Europe que le coup est le plus dur. On savait déjà que Berlusconi (renouant avec le mythique royaume de Sicile de Salvatore Giuliano) préférait une Italie directement branchée sur les Etats-Unis à une Italie européenne. La distance donne l’autonomie, le lien direct est bon pour tous les businesses, alors que la proximité européenne, l’imbrication de ses appareils politiques, productifs et judiciaires gêne aux entournures le conquérant né qu’est le fier Cavaliere.

Comment être maître chez soi si l’on doit rendre compte de sa gestion financière à une Banque européenne, de sa gestion politique à une Commission européenne, de sa gestion morale à des protestants pète-sec instruits par des pasteurs hollandais?

La démission de Ruggiero se profile ainsi comme la plus grande victoire remportée par les souverainistes depuis qu’ils se sont dressés contre le traité de Maastricht. Jörg Haider, mais aussi et surtout Jean-Pierre Chevènement, peuvent se réjouir. Avec l’europhobie annoncée de l’Italie pour les années qui viennent, l’intégration européenne subira à court terme un fort ralentissement. Que seul le succès éclatant de l’euro va contrebalancer.

Cette nouvelle donne ne sera pas sans conséquences sur les affaires intérieures des autres Etats. Ainsi, en France, l’électorat pro-européen pourrait se laisser séduire par un Chirac dont l’animosité envers Berlusconi est connue plutôt que par un Jospin, européen frileux pour ne pas dire transi.