Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, Max, conférencier invité se retrouve au lit avec la directrice de son hôtel. D’autre part, le jeune Japonais Tsutsui monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. Ce fils putatif de Max construit dans la nuit un mystérieux bonhomme de neige Et pendant ce temps-là le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 15.
Tous les hôtels remplis à ras bord, le chiffre d’affaire des magasins plus élevé que jamais. Partout de nouveaux clients, chez les pâtissiers, les banquiers, les moniteurs de ski, les assureurs, les coiffeurs, les masseurs et les prostituées.
A tous et à toutes des heures supplémentaires grassement payées. En dix jours les participants au Forum auront laissé quinze millions de dollars aux commerçants de l’endroit.
Mais sans les forces de sécurité, sans le commandant Moritz dont on a essayé de se moquer dans les journaux, les affaires ne dureraient pas. Tous parlent d’esprit d’ouverture, de dialogue avec les pauvres et les marginaux, mais ça devrait se passer sans la moindre tache de peinture sur les limousines, sans un graffiti, sans une boule de neige qui vole.
Tant que tout s’arrange, on admet que le commandant Moritz veille au grain et protège le Forum. Mais si quelque chose va de travers, par exemple la vitrine d’un fourreur saccagée, un manifestant avec une bosse sur le crâne, les mandataires du commandant Moritz lui retirent leur confiance.
Il est le premier fusible, celui qu’ils feront sauter à la moindre surcharge. Commandant Moritz par ci, commandant Moritz par là, et à la fin: Oh, ce commandant Moritz, savez-vous, il n’en faisait qu’à sa tête, nous avons dû nous passer de lui.
Avant de se coucher, il fera la tournée de ses collaborateurs. Ou devrait-il dire de ses subordonnés? Quelques tapes dans le dos, quelques poignées de main et même un baiser sur la joue s’il le faut pour s’assurer que celles et ceux qui ont pris leur tour de nuit se sentent appréciés.
Il s’efforcera de créer un climat détendu. Le message est: nous ne sommes pas des assiégés, nous sommes chargés de contrôler les flux. Flux d’informations, de marchandises, de capitaux et de personnes.
La veille des grandes manifestations, il n’est que trop fréquent de voir la tension augmenter sans raison. Un climat fabriqué par une trop grande rigidité de la hiérarchie.
Bob à Seattle, voilà l’erreur qu’on lui reproche: avoir mis ses gens sous pression beaucoup trop tôt. De sorte qu’après trente-six heures d’alerte maximum, le moindre engagement sur le terrain tourne au drame. D’où le message du commandant Moritz: repos, les gars, l’action, c’est pour plus tard et de toute manière il n’est pas certain qu’il y aura bagarre. Notez tout, ne réagissez pas à la hâte.
Le commandant Moritz aime la nuque de Ruth depuis qu’elle a coupé ses cheveux. Quand elle passe d’un écran à l’autre, on dirait le cou d’un pic vert qui donne des coups de bec contre un arbre. Dans le staff depuis six mois. Elle ira loin, la petite. Enfin pas si petite que ça, elle joue en ligue nationale dans une équipe de basket.
Tous les six mois, quand se retrouvent les responsables de la sécurité des grandes réunions politiques, celui qui préside la séance brosse le tableau:
«Nous voici dans cette salle, cinquante personnes réunies, celles qui comptent pour assurer à la planète sa sécurité. Nous sommes les garants de la paix civile dans un monde en proie aux passions d’un autre temps. Mais personne ne nous en est vraiment reconnaissant. C’est un métier ingrat.
A notre prochaine rencontre, regardez bien, l’un d’entre nous au moins ou même plusieurs d’entre nous auront été limogés. Nous sommes utilisés comme des fusibles. A chaque fois que ça chauffe, les politiciens changent le fusible. C’est leur seul moyen de faire baisser la température. Il font mine d’avoir trouvé un coupable.»
Dans la salle de réunion, le collègues du commandant Moritz se regardent en riant jaune. Aucun d’entre eux n’est à l’abri. Après Seattle, Bob a dû rendre son tablier. Après Bruxelles, Emile a été promu, mais viré de fait et Sven, après Göteborg, est désormais sur la touche.
On n’occupe pas ce genre de poste pour durer. Mais à chaque fois, c’est prouvé, ce sont les journalistes qui déclenchent le haro. Par une question piège lors d’une conférence de presse, par une interview que vous leur refusez au cœur de la bataille, par une photo de brutalité policière, comme ils disent.
Au lieu d’informer honorablement sur le déroulement sans heurts d’un événement, ils attendent la casse pour se mettre à l’œuvre.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le seizième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.