LATITUDES

Les meilleurs livres romands à offrir pour Noël

L’édition suisse réserve de bonnes surprises au rayon des essais, des romans ou des livres historiques. Plusieurs parutions récentes m’ont accroché. Les voici.

Les Fêtes approchent, qui donnent l’occasion d’acheter des livres, d’en offrir, d’en recevoir et, éventuellement, de les lire… L’occasion, pour moi, de vous emmener dans une balade toute subjective et personnelle à travers l’édition romande de ces derniers mois.

Mais auparavant, actualité oblige, permettez-moi de signaler un excellent livre sur l’Afghanistan, «Le faucon afghan», d’Olivier Weber. Journaliste, voyageur, écrivain, Weber a parcouru le pays et écrit son livre avant que les événements le projettent à la une de la presse internationale.

Son voyage est celui d’un curieux documenté, familier de la culture et de l’histoire du pays. Ses observations sont celles d’un sceptique qui, choqué de découvrir les horreurs commises par un père Ubu sanguinaire, borgne et borné – le mollah Omar -, recourt à l’ironie pour ne pas donner dans le tragique. Passant d’une scène de genre à un rappel historique, Olivier Weber conte la quotidienneté terrifiante d’un Afghanistan rendu absurde par le choc de traditions moyenâgeuses vivaces et de techniques ultramodernes. On ne saurait pénétrer de manière plus agréable dans une problématique apparemment insaisissable.

Ces jours-ci, notre attention est captée par Tora-Bora, dont les médias nous vantent l’enchevêtrement de tunnels, de galeries, de cavernes, de dépôts de munitions. Ces forteresses cachées ont été construites par l’entreprise de travaux publics Ben Laden avec des capitaux saoudiens et américains à l’époque de la guerre afghane contre les Soviétiques.

En Suisse, pour nous protéger d’une possible irruption des mêmes Soviétiques, nous avons fait mieux pendant plus longtemps. Le photographe Bernard Dubuis a pu parcourir en toute liberté les galeries kilométriques des forteresses de Saint-Maurice (Dailly, Savatan, Scex et Cindey).

Les belles photos publiées par Dubuis dévoilent pour la première fois l’intérieur de ces forteresses et la complexité de leurs installations. Comme elles n’ont fort heureusement jamais été utilisées, le jugement sur leur efficacité est condamné à rester un objet de spéculation.

Quand on sait que la protection de ces forteresses contre les poussières radioactives était assurée par les filtres à café Melita, les mauvais esprits (dont je m’honore de faire partie) auront tendance à ricaner. Ce qui ne sera pas le cas de Jean-Jacques Langendorf – historien et romancier dont j’ai pu apprécier certains textes – qui vient de commettre «La Suisse dans les tempêtes du XXe siècle», l’ouvrage le plus réactionnaire consacré à la Suisse au XXe siècle.

Agacé (ce que l’on peut comprendre) par la manière dont nos politiciens et nos banquiers ont été récemment joués dans l’affaire des fonds juifs en déshérence, Langendorf a cru bon racler les fonds de tiroirs les plus bêtement militaristes du pays – et ils sont nombreux – pour nous raconter l’histoire d’une Helvétie bien sous sa casquette, sans peurs ni reproches, démocratie exemplaire et charitable, isolée dans un océan de méchanceté, menacée par les déferlantes venues de l’étranger (la métaphore maritime pour le peuple des bergers est de Langendorf, pas de moi).

Un tel travail ne pouvait échapper à la Revue Militaire Suisse qui, dans son numéro de novembre, lui consacre sous la plume du lieutenant colonel J.-J. Rapin une recension des plus flatteuses.

Mais en présentant Langendorf, Rapin oublie de signaler qu’il fut autrefois anarchiste militant et coauteur d’un attentat mémorable contre le consulat d’Espagne à Genève. Cela se passa en février 1961 et c’est raconté par Claude Frochaux dans un livre de souvenirs qu’il vient de signer avec l’écrivain Jean-Michel Olivier.

Frochaux est lui-même écrivain, auteur de plusieurs récits et d’un essai important, «L’Homme seul», mais il a aussi été éditeur pendant plus de trente ans aux Editions L’Age d’Homme à Lausanne.

Comme souvent dans les livres de souvenirs, la jeunesse de l’auteur est privilégiée. Frochaux nous raconte qu’avant d’écrire et d’éditer des livres, il fut libraire et anarchiste. Au début des années soixante, il fonda avec son ami Langendorf (qui prit le pseudo ronflant et romantique d’Atchenko) le groupe Ravachol qui décida de punir les franquistes à jets de cocktails molotov contre leur consulat genevois. Cela leur valut tout de même de passer six mois en prison, comptant ainsi parmi les très rares prisonniers politiques d’extrême-gauche dans cette Suisse du XXe siècle si fort balancée par les tempêtes…

Par bonheur, tous les ouvrages historiques ne sont pas d’aussi mauvaises compilations que celui de Langendorf. Ainsi Christophe Büchi, journaliste alémanique basé en Suisse romande, se livre dans «Mariage de raison. Romands et alémaniques: une histoire suisse» (Zoé) à une très fine analyse des relations entre descendants des Burgondes et des Alamans au fil des siècles.

Sans avoir l’air d’y toucher, il nous donne une histoire vivante de la formation de la Confédération, de ses vicissitudes politiques et de l’évolution de ses mentalités. C’est à coup sûr l’histoire de la Suisse la plus lisible pour le non spécialiste actuellement disponible sur les rayons des libraires.

Du côté des documents historiques, les Editions d’En Bas réussissent un joli coup en publiant sous le titre de «A l’étroit dans ma peau de femme » les souvenirs Marie Gilliard-Malherbe, une bourgeoise des campagnes vaudoises née en 1848 dans le milieu assez fermé des «momiers», les partisans de l’Eglise libre.

Mère d’une ribambelle d’enfants, elle donna le jour à l’écrivain Edmond Gilliard. Coincée entre famille, morale et soucis financiers, elle regarda sa vie passer sans la vivre vraiment. En pleine actualité talibane, le récit de cette existence semble étonnamment proche de la complainte d’une femme affublée de la burka, proche de ces femmes que le voile abstrait de la société.

En littérature, trois titres m’ont séduit. Janine Massard nous parle de la mort dans un texte beau et sobre, «Comme si je n’avais pas traversé l’été» (L’Aire ), qui tient plus du récit que du roman ainsi que l’indique la page de titre. Il y est question d’une femme dont la vie est bouleversée par la maladie et la perte de deux êtres chers, son mari et sa fille. Il y est aussi question d’un livre à écrire, d’une vie à reconstruire. Fort. Très fort.

Le dernier Chessex, «Monsieur» (Grasset), est le livre d’un virtuose de l’écriture, d’un écrivain à qui on ne la fait plus, d’un homme qui sait posséder une patte et une plume. Mais cette juxtaposition de nouvelles ou de textes de caractère intimiste pèche par un manque évident de construction, d’unité dans le propos. A force de chercher, au-delà de la paternité, ce qui pourrait unir des textes aussi dissemblables que «Le cor» ou «La lettre à mes fils», le lecteur finit par conclure à l’artifice, à la superficialité.

Un artifice et une superficialité qu’il ne rencontrera pas chez Maurice Chappaz. A 84 ans, le vieux Bagnard est au mieux de sa forme et nous donne avec son «Judas» un des chefs d’œuvre de la littérature contemporaine. Poème en prose plus que récit, l’«Evangile selon Judas» porte la bonne nouvelle de Chappaz, la lumière de celui qui voit sans voir, qui voit par-delà ce que peuvent capter ses frères en humanité.

Sa prose, toute évangélique qu’elle soit, a la texture d’un cep de vigne trentenaire, la densité des bouillonnements de la Dranse de juin, la profondeur de la parole vraie. On ne peut pas lire le «Judas» de Chappaz, on le mordille, on le butine, on le déguste à doses homéopathiques. Pour moi, c’est le signe indiscutable de la grandeur.

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Ouvrages cités:

«Le faucon afghan. Voyage au pays des talibans», d’Olivier Weber. Robert Laffont, Paris, 263 pages.

«La forteresse abandonnée», photographies de Bernard Dubuis, texte de Jean-Bernard Desfaye, Editions Pillet, Saint-Maurice. CHF 68.-

«La Suisse dans les tempêtes du XXe siècle» de Jean-Jacques Langendorf, préface de G.-A. Chevallaz, Georg, Genève.

«La mémoire de mes souvenirs», de Claude Frochaux. Entretiens avec Jean-Michel Olivier. L’Age d’Homme, Lausanne, 195 pages.

«L’Homme seul», de Claude Frochaux. L’Age d’Homme, Lausanne, 1996.

«Mariage de raison. Romands et alémaniques: une histoire suisse», de Christophe Büchi, Zoé, Genève.

«A l’étroit dans ma peau de femme» de Marie Gilliard-Malherbe. Editions d’En Bas, Lausanne, 206 pages.

«Comme si je n’avais pas traversé l’été», de Janine Massard, L’Aire, Vevey, 206 pages

«Monsieur», de Jacques Chessex, Grasset, Paris, 300 pages.

«Evangile selon Judas», de Maurice Chappaz, Gallimard, Paris, 170 pages.