Treizième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.
Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités. D’autre part, Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec Frénésie, directrice de l’hôtel. Et pendant ce temps-là, le jeune Japonais Tsutsui monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. Mais ce Tsutsui ne serait-il pas le fils de Max? Lire ici le début du récit.
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Chapitre 13.
Tsutsui se l’imaginait autrement, ce Max vom Pokk. Que vient-il faire ici? Il s’agirait rien moins que de son père. La question mérite d’être tirée au clair.
Au début, sa mère, Shizuko, a prétendu que ses fils étaient les produits d’une manipulation génétique. D’une certaine manière, cette identité artificielle continue d’obséder Tsutsui.
Tout ça à cause de la bombe de 1945 et de leurs idées de 1968. Et la mère, à quarante-cinq ans dans un fauteuil roulant, à cause de la bombe encore. Et lui alors?
Au pénitencier, sa mère est venue plusieurs fois le voir. A chaque fois, il lui a demandé le nom de son père. Elle disait: «Puisque ta sœur te l’a dit, je ne vais pas la contredire.» Elle prétendait que ça ne changeait rien, que les enfants sont à ceux qui les élèvent. Beaux principes! Et un jour, chacun est à soi. Ça s’appelle l’âge adulte.
Tsutsui, à trente et un ans, n’est donc plus l’enfant de sa mère. Elle est morte le jour de la fusion de son entreprise avec un autre grand du déchet mondial. Si elle vivait encore, elle serait fière de son fils. Un Japonais persévérant dans les mauvais tours qu’il veut jouer à ces messieurs. Ces salauds dont elle a été la victime.
En haut de la clairière, le chemin reprend dans la forêt, traverse le torrent gelé et débouche enfin à la limite des arbres. Pendant tout ce temps-là Davos est hors de vue, on n’est confronté qu’à soi, qu’au panache de buée qui vous sort de la bouche. Les idées vont dans tous les sens.
Tsutsui voudrait que sa mère le voie. Elle aussi serait d’accord qu’on ne peut pas laisser se tenir le Forum de Davos sans un petit signe qui marque l’événement. Un signe pas trop risqué, pas trop coûteux, mais dont la légèreté frappe les esprits.
S’il n’avait pas vu sur internet le nom de Max, son père putatif, parmi les participants, il aurait peut-être renoncé. L’été dernier, il a passé deux jours dans la région. Il était à Klosters pour une soirée de publicité clandestine quand il a vu sur la carte qu’il se trouvait à deux pas de Davos. Il n’a pas résisté.
Au pénitencier il avait pris l’habitude d’inventer chaque soir une histoire de sabotage. Les techniques devaient être aussi exactes que possible, le reste pouvait être fantaisiste. Un vieil anarchiste qui purgeait une peine de vingt ans pour avoir saboté plusieurs fois l’aéroport de Narita lui avait transmis ses recettes. Il ne pensait pas s’en servir un jour.
Sur le papier, Tsutsui était devenu un as de la minuterie, un virtuose des mélanges détonnants, concoctés à partir de produits en vente libre. Sucre en poudre, allumettes Bengale, désherbant, poudre noire, gobelet de yaourt. Une nouvelle cuisine faite des produits du terroir.
Par une belle soirée d’été, il aurait pris le téléphérique du Jakobshorn, aurait attendu le coucher du soleil. Faire son trou sous le relais, y cacher la charge, reboucher et redescendre en parapente dans la vallée. Comme un touriste japonais mis en retard par les courants ascendants du crépuscule. Il n’aurait que préparé une guerre à venir. Mais ensuite il aurait fallu mettre à feu.
Comme il avait déjà donné, la violence lui répugnait. Ses sabotages se limitaient à des fantasmes.
Il n’a pas que ça à faire. La publicité clandestine est un métier très astreignant. Il aurait pu envoyer quelqu’un d’autre. Il aurait dit: le gros travail de préparation est terminé, il suffit de s’approcher à deux cents mètre du relais, de presser sur la commande à distance et de s’éloigner de la zone dangereuse dans le quart d’heure qui suit.
Le pied sautera et la plate-forme s’affaissera. Une inclinaison de quinze degrés suffit pour mettre hors d’usage les composants du relais. C’est prouvé, cette technique a été utilisée avec succès à l’aéroport de Narita en 1970, 1975 et 1981. Vive la mondialisation et le sabotage antimondialiste.
Mais là, quand il a su que Max vom Pokk était du mauvais côté, Tsutsui n’a pas voulu le manquer. Il a souhaité voir à quoi ce prétendu géniteur pouvait ressembler. Les renégats sont toujours des figures passionnantes.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le quatorzième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.
