En feuilletant la dernière livraison de Paris Match, je suis resté pétrifié devant ces vieilles photos très kitsch du couple Milosevic: lui qui baisse les yeux et qui sourit comme un enfant pris en faute, elle qui fixe l’objectif dans un regard d’une infinie tristesse.

Quel lien secret les unit? Dans quel monde vivent-ils? Pourquoi ont-ils les bras croisés sur ces photos? Ces questions occupaient encore un coin de mon cerveau quand j’ai découvert, tout à l’heure, un long article du New York Times qui leur était consacré. En lisant ce portrait, et d’autres dossiers publiés sur le Net, j’ai compris deux ou trois choses à propos de ce couple de psychopathes qui veut défier le monde.
D’abord, ces violettes qui ornent la coiffure de Mirjana. Dans le journal intime qu’elle faisait publier par l’hebdomadaire belgradois Duga, l’épouse de Milosevic expliquait comment elle avait longtemps porté des fleurs de plastique dans ses cheveux. Comment, devenue riche, elle les avait remplacées par des fleurs fraîchement cueillies, jusqu’à ce que cette coquetterie capillaire déclenche les railleries de ses compatriotes.
Elle a aujourd’hui abandonné cette coiffure de fausse hippie communiste, mais elle continue à passer des heures à se coiffer devant sa glace.
Ce narcissisme donne la couleur du personnage. Il éclaire aussi d’un jour original le couple qu’elle forme avec Slobodan. On dit que son ascendant sur le dictateur est sans limite, que la paix dans les Balkans dépend d’elle autant que de lui. Il n’a jamais connu d’autre femme. A la maison, c’est elle qui décide de tout. Mirjana Markovic a la réputation d’une Lady Macbeth, autoritaire et sans pitié.
Les épouses de dictateurs ont, il est vrai, toujours fasciné les foules: Imelda Marcos et ses milliers de souliers, Elena Ceausescu et ses rêves de grandeur, Mirjana Markovic et ses fleurs dans les cheveux…
En quarante ans de vie commune, les Milosevic ont construit leur propre univers de fantasmes et d’angoisses. «Je suis paralysée par les petites peurs, mais motivée par les grandes» a déclaré Mirjana à son amie et biographe, Liljana Habjanovic-Djurovic.
L’épouse de Milosevic n’a jamais caché qu’elle rêvait de devenir écrivain. Elle dit avoir été influencée par les écrits de Sartre et cite «L’année dernière à Marienbad», d’Alain Resnais, parmi ses films favoris. Sa vie a commencé comme un mauvais roman: elle avait deux ans quand sa mère est morte, exécutée par les nazis.
Slobodan et Mirjana se sont rencontrés en 1958, dans le lycée d’une petite ville industrielle proche de Belgrade. Elle avait quinze ans, lui seize. Slobodan était fasciné par cette jeune fille issue d’une famille modèle, communiste et résistante: la tante de Mirjana était la secrétaire personnelle de Tito, on disait même qu’elle était sa maîtresse.
Par la suite, Slobodan Milosevic a abondamment utilisé les relations de son épouse pour faire carrière au sein du Parti communiste. Sa famille à lui n’avait rien de brillant: des parents divorcés, une mère institutrice et sans doute beaucoup de malheurs
Les deux parents de Milosevic se sont suicidés à douze ans d’intervalle. Son père s’est tiré une balle dans la tête, sa mère s’est pendue. Depuis lors, Mirjana est sa seule famille. Leurs deux enfants, Marija et Marko, ont quitté la maison.
Aujourd’hui, Mirjana dirige le parti néo-communiste de Serbie, qui participe à la coalition gouvernementale. Elle influe sur toutes les décisions que prend son mari. Certains observateurs affirment qu’elle ne cédera jamais face à l’OTAN.
A sa biographe qui lui demandait d’imaginer sa vie à soixante ans, Mirjana a répondu qu’elle
souhaitait partir en Suisse avec son mari. «Elle s’imagine à Lugano, mangeant des glaces. Elle s’imagine dans une robe blanche, avec des fleurs dans les cheveux.»
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Les épisodes de la vie de Mirjana Markovic et de Slobodan Milosevic relatés ci-dessus proviennent d’un article de Steven Erlanger publié par le New York Times, d’un reportage réalisé par Phil Rees pour le compte de la BBC et d’un article de Liljana Habjanovic-Djurovic, confidente et amie de Mirjana Markovic.