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11. Où se pose la question d’un éventuel rapport entre deux personnages que tout sépare

Onzième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.

Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais de téléphonie mobile. D’autre part, le commandant Moritz surveille aussi bien les invités que les non-invités. Et pendant ce temps-là, Max, conférencier invité, se retrouve au lit avec Frénésie, directrice de l’hôtel, pour une longue nuit d’amour. Lire ici le début du récit.

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Chapitre 11.

Frénésie répond à Max:

– La certitude que tu étais différent des autres. Qu’en aucun cas tu ne faisais partie du troupeau. Je gagne à te connaître. Quelque chose arrive entre toi et moi. Moi, une négresse jamais vraiment à sa place. Et toi, tu as l’air de te prêter seulement au monde.

Elle parle tout près de l’oreille de Max, peut voir tous ses défauts, toutes les rides qu’il observait tout à l’heure dans le miroir. Même la plus laide de toutes, celle qui descend des yeux jusqu’à la bouche. Elle voit cette laideur, mais continue de sourire.

Puis elle s’appuie sur les coudes et ses boucles foncées emprisonnent le visage de Max. Il ne distingue que le blanc de ses yeux tandis qu’il se souvient de la forfanterie de celui qui disait: «Je ferai la mort comme j’ai fait l’amour, les yeux ouverts.» Et il ferme les yeux.

Frénésie ne semble pas pressée de faire l’amour. Elle discute encore:

– Et le Japonais qui t’en voulait si fort, tu en dis quoi?

Max pense qu’il s’agit d’un jaloux. Le Japonais s’étonne de voir Max dedans, à l’intérieur du périmètre, alors qu’il proclame son attachement aux idées de 68. Max n’est pas un renégat, du moins pas s’il considère sa fidélité à lui-même. Mais le Japonais doit s’imaginer que Max est un salaud. Il faudra lui prouver le contraire.

– Par tes discours? Grâce à l’exposé que tu feras demain? Tu crois que ça suffit?

Là Max va se fâcher. Il se trouve au lit avec une New-Yorkaise dont tout montre qu’elle profite de ce Forum. Elle a même organisé une réception pour manifester son intérêt. Et c’est d’elle que viennent les reproches? Peut-être que le dernier lit qu’elle a fréquenté, il y a quatre ans et demi, était celui de l’autre génération.

– Oh non Max, je ne te fais aucun reproche. Tu veux l’histoire de mon dernier homme? Tout bêtement, mon patron. Il m’a dit qu’il m’épouserait, mais il était déjà engagé. Plus classique, tu meurs. Une histoire glauque avec un enfant par accident. Mais là où je m’en veux le plus, c’est d’être retournée dans le lit du père après l’accouchement. Quand tout aurait dû être fini.

Tu peux comprendre ça, toi? J’aurais dû casser, avoir le courage. Mais j’avais aussi un problème financier. Non, il ne m’entretenait pas, mais je travaillais encore pour lui. Avocate d’affaires. Et je venais de loin. A vingt ans je volais dans les magasins. En prison j’ai fait des études. A peine sortie, j’ai passé mon brevet d’avocat. Je me suis promise de ne jamais reculer. Même pour mieux sauter. Mais n’aie pas peur, je ne m’accrocherai pas à toi.

Max n’y avait même pas pensé. Il l’embrasse et lui demande si elle est d’accord qu’il lui retire sa dernière parure. Comme elle acquiesce, il défait sa montre et la dépose sur la table de chevet à côté de son portable.

(A suivre)

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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le douzième épisode.

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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.