Nous avons donc, dès ce matin, un nouveau président, Kaspar Villiger. Et un nouveau vice-président, Pascal Couchepin. Pour qui s’intéresse à la politique, la nouvelle n’en est pas une: cette élection est réglée selon un savant tournus qui permet aux nombreux bundesratologues hantant la Berne fédérale de le définir pour les sept ans à venir. Sans aucun mérite: il suffit d’enregistrer la date de leur élection puisqu’ils passent à la présidence à tour de rôle.
Mais les bundesratologues, pour justifier le fait qu’ils se sont levés relativement tôt pour assister à des débats sans surprise, se feront par contre un plaisir de décortiquer et de commenter avec beaucoup de conviction la cote d’amour des impétrants.
Au-dessus des 200 voix sur les 246 que compte l’Assemblée fédérale, l’élection est réputée brillante, de 150 à 200, cela passe, en-dessous de 150, c’est un vote sanction. Une sanction sans conséquence aucune: le président présidera avec la même fougue, le même enthousiasme, la même flamme quel que soit le résultat de son élection.
Ce résultat compte d’ailleurs si peu qu’il n’est même pas reporté dans les nombreuses rubriques concernant le Conseil fédéral sur le site officiel de la Confédération.
Quand on voit la passion qui anime la campagne électorale des candidats à la présidence de notre chère voisine, la République française, le calme bernois et la placidité des bundesratologues ont de quoi faire enrager.
Personnellement, j’ai l’impression d’être un journaliste politique atrophié. Je peux me mettre sous la plume (ou le clavier) à peu près tout ce qui se passe dans le monde en y trouvant quelque aspérité salvatrice à laquelle m’accrocher, mais l’élection de mon président m’échappe complètement. Elle est toute en rondeur, elle me glisse entre les doigts, elle me fait le coup du furet dans les bois…
D’autant plus que Villiger, on l’a déjà vu à l’œuvre il n’y a pas si longtemps et que Couchepin, c’est sûr, ne nous réserve pas plus de surprises que lui. Pourtant, ils auraient de quoi: ils sont tous deux radicaux issus de cantons catholiques, sonderbundiens en 1847, où les radicaux, minoritaires, représentaient naguère encore le diable quasiment rouge.
Villiger et Couchepin en rouge. Il suffit d’essayer de visualiser la chose pour prendre la mesure de son absurdité et de la bizarrerie de la vie politique confédérale.
La seule issue serait de changer la donne, de faire sauter le consensus qui neutralise tout depuis plus de quarante ans, d’avoir un gouvernement majoritaire confronté à une opposition. Alors seulement l’élection prendrait un peu de sens et pourrait même réserver des surprises.
On en a un exemple avec la nouvelle municipalité lausannoise. Daniel Brélaz, homme politique aux convictions fortes, issu d’un parti minoritaire, les Verts, n’aurait aucune chance au niveau fédéral, en raison du blocage du système. Dans sa ville, un enchaînement de circonstances imprévisible l’a propulsé à la tête de l’exécutif grâce à une victoire par KO électoral sur son adversaire de droite, Doris Cohen-Dumani.
En homme politique conséquent, heureux de pouvoir appliquer enfin des idées qu’il devait ruminer depuis longtemps, Brélaz s’est payé le luxe de bouleverser en quelques jours l’entier de l’organigramme bureaucratique de la ville. Ce n’est pas rien: il y a là 46 services municipaux dotés d’autant de chefs de service jaloux de leurs prérogatives.
Il a gardé pour lui les finances, le nerf de la guerre. Son malheureux prédécesseur (qui a eu l’élégance de céder son siège sans barguigner) est récompensé par un dicastère de tout repos lui donnant le contrôle des sports, de la culture et de l’agriculture (les JO, Béjart et Vidy, plus les vins de la Ville!). Et à son adversaire dans la course à la syndicature, il a jeté les flics, les pompiers et les croque-morts… Enfin une politicienne qui paie son échec!
Vous me trouverez dur envers la charmante Doris Cohen-Dumani, de même que certains ne manqueront pas de donner du goujat à Daniel Brélaz. A tort. Car en politique, les vaincus ont toujours tort.
C’est ce manque de responsabilité qui fait que nous n’avons plus de politique fédérale et que nos gouvernants peuvent, des années durant, folâtrer d’échec en échec, se vautrer dans l’irresponsabilité la plus totale, faire en somme les pires conneries sans jamais être sanctionnés.
Et c’est ainsi que la Suisse rapetisse et que nous retrouvons notre posture de nains de jardins.