- Largeur.com - https://largeur.com -

Segway, la nouvelle trottinette qui fait «buzz»

Rares sont les produits qui suscitent une telle attente dans la communauté médiatique. Depuis plusieurs mois, la population de Silicon Valley parlait d’une invention révolutionnaire née dans les laboratoires de Dean Kamen, mais personne ne connaissait réellement la nature de l’objet. Les rumeurs les plus fantaisistes circulaient.

La chose a finalement été dévoilée hier, d’abord dans un article exclusif du magazine Time, puis lors d’une présentation officielle. Il s’agit en fait d’une formidable trottinette à piles qui pourrait bien transformer la manière dont les humains se déplacent dans les villes.

Munie d’un petit moteur rechargeable, elle ressemble à une sorte de tondeuse à gazon. Elle tient en équilibre grâce à un ingénieux système de gyroscopes gérés par une dizaine de microprocesseurs et la puissance informatique de trois ordinateurs de bureau. Ce système lui permet d’anticiper les mouvements de l’usager, qui se déplace à une vitesse de 16 km/h presque sans énergie (les batteries ont une autonomie de 27 km pour six heures de charge).

Son inventeur, Dean Kamen, devenu multimillionnaire, entend ainsi mettre fin à l’absurdité qui consiste, comme il dit, à «déplacer deux tonnes de métal pour faire bouger son cul». L’objet, baptisé Segway, fera sans doute encore beaucoup parler de lui jusqu’à sa commercialisation à la fin de 2002. La stratégie de marketing et de promotion est au moins aussi sophistiquée que la trottinette en question.

En excitant les journalistes depuis plusieurs mois, Dean Kamen a donné une magistrale leçon de «buzz» aux inventeurs du monde entier. Comment a-t-il fait? On rembobine.

Dean Kamen, qualifié de «nouveau héros de la jeunesse américaine» par le New York Times, avait déjà inventé le «iBot», une chaise roulante qui monte les escaliers, dont le brevet avait été vendu à une filiale de Johnson & Johnson.

Le nouveau bébé de son labo DekaResearch allait se destiner pour la première fois au grand public. Il fallait donc un marketing plus vaste. C’est sur internet que la machine à rumeurs a le mieux fonctionné. Peut-être au delà des attentes de l’inventeur. Le nom du projet a été le premier élément soigneusement filtré par son équipe.

Ginger et Fred

«Le nom de code de la chaise iBot qui montait les marches est devenu Fred, parce qu’on le surnommait Fred Upstairs entre nous, raconte Dean Kamen au magazine Time. Il est devenu naturel de baptiser le projet suivant du nom de sa partenaire: Ginger.» Quand il doit en parler à l’extérieur du labo, Kamen l’évoque simplement sous les initiales IT, plus mystérieuses et sérieuses.

En janvier 2001, le magazine online Inside.com révèle qu’on a proposé 250’000 dollars à Kamen pour écrire un bouquin sur Ginger. Un condensé de rumeurs soigneusement alimentées par le chercheur et ses amis sont rassemblées dans l’article. On apprend ainsi notamment que:

Rien de tel pour alimenter les rumeurs. Les sites Ginger-chat ou theITquestion.com apparaissent dans la foulée, avec pour objectif de regrouper les spéculations autour du mystérieux projet.

On entend alors qu’il s’agit d’un aéroglisseur à hydrogène, d’un moyen de téléporter les humains, de trouver le point G électroniquement, d’une voiture munie d’un moteur de Stirling, d’un ordinateur révolutionnaire, de toilettes sans déchets ou d’une voiture électrique pliable. En avril, une marque déposée par une filiale de DekaResearch – FlyWheel – et les noms de domaine internet associés alimente l’idée d’un moyen de transport.

Dean Kamen a approché – et convaincu – un grand nombre d’investisseurs et les fuites commençaient à se faire de plus en plus nombreuses ces dernières semaines. Sans doute a-t-il été un peu contraint de présenter officiellement son projet à la presse, même s’il reste loin de la production en série, prévue pour la fin de l’an prochain dans une usine qui fabriquera 40’000 unités par mois.

Verra-t-on beaucoup de citoyens du monde naviguer à 16 km/h sur des trottinettes à 3’000 dollars la pièce (plus de 5’000 francs suisses)? A un prix pareil, il reste à inventer la machine à convaincre.