Comment ça? Vous ne connaissez pas l’Ovoland, ce pays où l’on manifeste sa joie de vivre en consommant une chaude boisson lactée, vitaminée et non sucrée? Ce pays dont les problèmes cruciaux sont la conduite d’une randonnée en montagne, le lavage des tenues de sport ou le choix de sous-vêtements convenables pour la visite hebdomadaire chez la masseuse?
Ainsi, après une longue période de tranquillité, l’Ovoland, cette «île alpine peuplée d’âmes skieuses», se trouve soudain ébranlée par la globalisation. C’est le thème du livre qui m’a enchantée ces dernières semaines.
«Ovoland» rassemble une cinquantaine de billets, chroniques, nouvelles et essais socio-politico-philosophiques signés Richard Reich et parus chaque mardi pendant deux ans dans les colonnes sportives de la Neue Zürcher Zeitung.
Parmi ces perles, on trouvera «Elf Fremde müsst ihr sein» («Vous devez être onze étrangers»), l’histoire d’une équipe de foot devenue, grâce au talent du chroniqueur sportif, métaphore de la société. Un texte qui valut à son auteur le Prix zürichois du journalisme en 2000.
Richard Reich, né en 1961, se considère comme un polysportif. Il a notamment été gardien de but du Grasshopper avant de travailler pour Facts et le Tages Anzeiger. Aujourd’hui, il est à la tête de la Maison de la littérature de Zürich.
Son lectorat? Cette génération d’écoliers qui ne seraient pas partis en course d’école sans avoir avalé une bonne tasse d’Ovomaltine et emporté de précieuses barres d’Ovosport dans leur sac à dos. La génération mangeuse de «Yes» trop sucrés manque de recul pour savourer ces vestiges d’une Suisse disparue.
En voici un florilège: une sortie dominicale avec l’oncle Walter qui aime tant marcher. Un train empli d’une population en chaussettes rouges et dents brunies par l’Ovosport. Le recrutement dramatique d’un jeune homme qui rêve d’Isone et qui finit à Oerlikon dans la protection civile. Les courses de biathlon qui autorisent, quel scandale, la participation des femmes. Le parcours Vita familial du samedi après-midi. L’interminable attente de Godi, dossard 522, à la Sola-Stafette.
Les pages les plus comiques concernent la lessive des vêtements de sport. Une activité qui requiert force mentale et capacité de réaction puisque, même avec une Adora de Zug, les risques sont grands de ruiner son short préféré.
Mais Reich aborde aussi des sujets plus sérieux. La honte du joueur remplaçant. Les pensées d’un gardien de but. Ou le numéro 164 et sa voix imperturbable qui, pour 60 centimes seulement, vous procure l’impression que les actions humaines conduisent de temps en temps encore à des résultats sans équivoque: 2:2, 0:1, 3:2…
Avec maestria, Richard Reich change chaque fois de perspective narrative. Tour à tour vendeur de «Magenbrot» au Six jours de Zürich, père tourmenté d’un jeune joueur de foot, reporter au Tour de France ou journaliste sportif mourant d’ennui lors d’un match de hockey sur glace, il jette sur le sport pratiqué en Suisse un regard acéré qui rappelle parfois celui de Nicolas Meienberg.
Et dire que sans l’intervention publicitaire de notre président de la Confédération en quatrième de couverture, j’aurais reposé ce délicieux livre sur le présentoir… «Richard Reich a relégué Winston Churchill aux derniers rangs de mes modèles, lui dont j’ai longtemps et fermement suivi la maxime «No sport» en demeurant un être passif, écrit-il. La lecture de Reich a marqué un tournant dans ma vie. Aujourd’hui, je suis actif: une fois par semaine, je lis sa chronique».
Le succès en librairie d’«Ovoland» serait-il dû à l’éloge de Leuenberger? Avec plus de 2500 exemplaires vendus après seulement un mois de parution, le livre de Reich appartient déjà aux best-sellers helvétiques. Alors que le livre du président, lui, passe difficilement, la frontière des langues.
Soporifique et un brin moralisateur, son recueil de discours («Rêveries et ordre du jour», Editions Georg) n’a rien d’enthousiasmant. Les lecteurs romands se délecteraient en revanche avec «Ovoland». Quelle maison d’édition leur en proposera la traduction?
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«Ovoland. Nachrichten aus einer untergehenden Schweiz», de Richard Reich.