Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, chacun se prépare. D’une part, le jeune Japonais, Tsutsui, monte au-dessus de la station pour s’attaquer à un relais des télécom. D’autre part, Max vom Pokk, conférencier invité, se retrouve au lit avec la directrice de l’hôtel. Et pendant ce temps-là, le commandant Moritz veille sur la sécurité du Forum. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 8.
Pour le commandant Moritz, ça commence à devenir sérieux. D’une part, cet invité au Forum, Max vom Pokk, est agressé verbalement par un manifestant, d’autre part, il semble lui-même n’avoir pas un dossier très net. En vingt ans, le pauvre, il aura changé d’avis. Pour savoir ce que fait le bureau MNOP, Ruth a fouillé la Toile publique. Il y a là davantage d’informations que dans le plus complet des fichiers du commandant Moritz.
La photo montre Max vom Pokk aux côtés de sa dernière réalisation, l’aéroport de Nagasaki. Voilà qui devient encore plus intéressant, puisque Tsutsui, le leader informel condamné pour meurtre, est justement né à Nagasaki.
Cela mériterait un supplément d’enquête, mais sans perdre de temps. Demain matin, à tous les coups, les journalistes demanderont si les services de sécurité ont identifié les leaders informels. Ils voudront savoir qui est le Japonais dont le visage haineux est apparu hier soir sur les écrans de télévision comme un symbole de la confrontation personnelle de deux générations.
Le méchant jaune qui injurie le gentil américain venu faire une conférence sur les enseignements de la révolte de 68. Et tout ça à Davos, séparé par un épais cordon de policiers.
Ça illustre exactement le contraire de l’esprit de Davos. Non pas les bons offices d’un pays neutre, mais la haine entre des gens qui ne se parlent plus.
Le commandant Moritz veut désamorcer ça auprès des journalistes. Il dira que, oui, ce Monsieur Tsutsui est un repris de justice qui veut se rendre intéressant en venant à Davos. Ce genre d’éléments n’ont rien à chercher ici.
Voyez en revanche Max vom Pokk, il a sûrement été tenté, il y a longtemps, par la contestation violente. Aujourd’hui, il aide à la circulation des marchandises sur toute la planète. Il construit des halls de frets.
Messieurs les journalistes, si vous voulez vraiment faire votre travail, n’inventez pas des histoires, racontez celles qui donnent l’exemple. Le voilà illustré, le côté positif de la mondialisation et le rôle exemplaire de ce pays d’accueil. Monsieur Max vom Pokk est à lui seul une success story.
Reste qu’à passé minuit, on ne peut pas réveiller Max vom Pokk. A moins qu’il vienne de se coucher. Finalement le commandant Moritz décide d’appeler lui-même La Montagne Magique:
– Ah, commandant Moritz, vous voulez parler à notre directrice. Elle vient de rentrer chez elle. Je peux vous donner son portable. A moins que je puisse… Vous me connaissez, je suis le père de Barbara qui travaille au poste de contrôle. Oui, nous avons organisé un cocktail qui s’est terminé il a y juste une demi-heure. Oui, Monsieur vom Pokk, est à peine monté dans sa chambre. Je vous le passe. Monsieur vom Pokk, un appel pour vous.
– Oui, vom Pokk, c’est moi-même. C’est plutôt tard, mais je vois que la sécurité en Suisse fait les choses à fond.
Si je connais le type qui m’a injurié ce soir? Non. Un Japonais, je crois. Qu’est-ce que vous dites? Nous sommes parents? Nous serions parents. C’est lui qui vous l’a dit? Oui, c’est exact, j’ai une nièce de ce nom.
Et comment s’appelle-t-il? Mirafiori Tsutsui. Non, ça ne me dit rien. Tout ce que je sais, Tsutsui est un nom très répandu là-bas, c’est comme Schweizer chez vous. Oui, vous en savez des choses, j’ai construit la halle de fret de Nagasaki, mais je ne vois pas le rapport. Ça ne peut pas attendre demain? J’ai une conférence à donner, mais après, si vous voulez… Parce que vous vérifiez même les contacts avec les journalistes? Oui, j’ai noté, le commandant Moritz.
Je viens de parler au grand chef de la sécurité du Forum. Ça ne doit pas être facile, la sécurité. Je ne voudrais pas être à votre place.
Lui non plus, le commandant Moritz, ne voudrait pas être à la place de ce Max. Faire une conférence pour comparer Mai 1968 et septembre 2001. D’abord, ce n’était pas la même chose. Ensuite ceux qui étaient dans la rue en 68 n’ont pas à s’en vanter publiquement.
Le commandant Moritz, à l’époque, avait huit ans. Il n’y a pas de meilleur alibi.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» sont publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le neuvième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» est publié en traduction anglaise par nos confrères new-yorkais d’Autonomedia.org et en allemand sur le site zurichois Paranoiacity.ch.