TECHNOPHILE

Swissmetro: le rêve brisé du train suisse à grande vitesse

Dans les années 1990, la Suisse étudiait la création d’un train souterrain ultra-rapide. Mais l’idée a été abandonnée, faute de soutien financier et politique.

Aller de Lausanne à Genève en 12 minutes dans un train souterrain circulant à 400 km/h. C’était la promesse du projet «Swissmetro». Il prévoyait la création d’un réseau de tunnels souterrains avec comme axes principaux Genève-Saint-Gall et Bâle-Zurich. Dans ces tunnels, les trains Swissmetro se seraient déplacés grâce à la sustentation électromagnétique, c’est-à-dire qu’ils n’auraient pas été en contact avec les rails, évitant ainsi les frottements et l’usure. Un vide partiel aurait été créé afin de réduire la résistance de l’air dans les tubes et d’optimiser l’aérodynamique.

Mais le projet n’a jamais vu le jour. La société Swissmetro, fondée en 1992 pour développer cette technologie, a été dissoute en 2010. Jugée trop coûteuse et compliquée à réaliser, les pouvoirs publics et les investisseurs privés se sont retirés au fur et à mesure dans les années 2000. Comment cet ambitieux projet s’est-il retrouvé sans soutien?

Inspiration allemande

 L’idée avait pris forme au milieu des années 1970 grâce à l’ingénieur de de l’EPFL Rodolphe Nieth qui voulait dynamiser le réseau ferroviaire helvétique. Au cours de la décennie suivante, il avait réussi à convaincre de nombreux chercheurs et quelques politiques au niveau fédéral, de la faisabilité d’un train souterrain à grande vitesse. En 1989, le département fédéral des transports, des communications et de l’énergie (DFTCE) avait financé une étude préliminaire à hauteur de 500’000 francs. Comme celle-ci avait été fructueuse, une étude de faisabilité plus approfondie avait été réalisée entre 1992 et 1999 pour un coût de 14 millions de francs. La moitié du financement provenait des pouvoirs publics, et l’autre moitié de 85 entreprises, dont Credit Suisse, le cimentier Holcim (à l’époque «Holderbank») ou encore ABB.

«L’opinion publique dans les années 1990 était très favorable au développement de trains à sustentation magnétique», se souvient Marcel Jufer, un des premiers scientifiques convaincu par le projet. Alors professeur d’électromécanique à l’EPFL, il a rencontré Rodolphe Nieth en 1980 et a été impliqué dans le développement et la promotion pendant toute la durée du projet. «À l’époque, on parlait beaucoup du Transrapid allemand, un projet de train à sustentation magnétique entre Hambourg et Berlin, et du train japonais Maglev. Swissmetro était dans l’air du temps.» L’enthousiasme est tel que la société Swissmetro déposait même une demande de concession, en 1997, auprès du DFTCE pour le tronçon Lausanne-Genève.

Facture de 25 milliards

Mais l’engouement s’est tassé vers la fin des années 1990 (le projet du Transrapid allemand a d’ailleurs été enterré quelques années plus tard). Bien que les études ont démontré que la technologie aurait été tout à fait réalisable, le prix très élevé de l’opération posait problème. Pendant l’étude de faisabilité, les initiateurs avaient estimé une facture de 25 milliards de francs pour la construction de l’infrastructure complète. Trop pour les pouvoirs publics. Le DFTCE se montrait de plus en plus réticent à soutenir Swissmetro, d’autant que la priorité du moment était la construction du tunnel de base du Saint-Gothard, entamée en 1996 et dont le coût s’est révélé très important (plus de 12 milliards de francs).

Résultat: en 2002, le ministre des transports Moritz Leuenberger annonce la fin du soutien financier pour Swissmetro. Suite à cette décision, la plupart des investisseurs privés se sont également retirés.

Hyperloop: Swissmetro 2.0

L’autre problème majeur du projet a été le soutien manquant de la part des CFF. «Bien qu’ils aient contribué financièrement à l’étude principale, ils nous considéraient tout d’abord comme un concurrent alors que nous les voyions plutôt comme le futur exploitant du réseau Swissmetro», se souvient Marcel Jufer. La construction d’une infrastructure supplémentaire – en plus du rail, des routes et des aéroports – a également joué en sa défaveur. Il aurait été difficile de lier le nouveau réseau au réseau ferroviaire existant, comme l’explique Claudio Büchel, professeur de planification des transports à la Haute école technique de Rapperswil: «Swissmetro aurait assuré la mobilité rapide entre les grandes villes de Suisse. Mais pour les habitants en dehors des centres urbains, il aurait été plus difficilement accessible. L’équilibre entre le coût et l’utilité pour la majorité des Suisses n’aurait pas été respecté.»

Le projet est-il définitivement rangé dans le tiroir des projets futuristes jamais réalisés? Pas tout à fait. L’association «ProSwissmetro» – constituée d’ingénieurs suisses persuadés de la faisabilité du projet – continue à faire sa promotion auprès des médias et des politiciens. Mais surtout: avec la fin de Swissmetro SA en 2010, tous les droits ont été transférés à l’EPFL où l’on continue de miser sur ce savoir-faire, notamment  à travers les recherches menées en lien avec le projet «Hyperloop». Ce train imaginé par l’entrepreneur sud-africain Elon Musk reprend quelques-unes des idées de Swissmetro, comme la sustentation électromagnétique et l’usage d’un vide partiel, tout en visant des vitesses allant jusqu’à 1’200 km/h. Comme le résume Marcel Jufer: «Hyperloop devient un Swissmetro plus rapide.»

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Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans Entreprise Romande.