KAPITAL

Le protectionnisme feutré des téléréseaux romands

Avant même d’avoir été entrouverte, la fenêtre de publicité de M6 a été condamnée par les câblo-opérateurs de Genève et Lausanne.

Le monde fermé du câble TV suisse n’a pas encore subi de déréglementation, et on peut le regretter. Les câblo-opérateurs fixent leurs tarifs comme bon leur semble et surtout contrôlent les programmes. L’affaire M6 illustre à merveille comment ces petits patrons provinciaux décident seuls de ce qui est bon ou non pour le téléspectateur romand.

Bref rappel des faits. La chaîne privée française M6 a décidé d’élargir son marché en ouvrant une fenêtre publicitaire sur le territoire suisse. Il s’agit d’un canal présentant un programme similaire à celui transmis en France, sauf pour les pubs, qui se destinent spécifiquement aux téléspectateurs romands.

La chaîne a donc mandaté l’agence zurichoise IP-Multimedia pour commercialiser l’espace à des prix cassés, déclenchant un petit cataclysme. Outre la SSR et les chaînes locales, l’affaire a même réussi à énerver l’Office fédéral de la communication (Ofcom), réputé pour son stoïcisme tout fédéral.

L’anecdote vaut quelques lignes. Il y a quelques semaines, les fonctionnaires bernois sont allés à Paris discuter du dossier avec leurs homologues français du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), seul habilité à fournir une autorisation à M6. «Nous avons vu le Président Dominique Baudis en personne, raconte Martin Dumermuth, vice-président de l’Ofcom. Celui-ci nous a promis qu’aucune décision ne serait prise sans que nous en soyons avertis au préalable.»

Quelques jours plus tard, pourtant, le CSA a donné son feu vert à M6 sans en toucher mot à Berne. «Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit là d’une curieuse méthode de soigner les relations de bon voisinage», poursuit Martin Dumermuth, encore vexé.

Mais revenons au câble. M6 ayant obtenu du CSA le droit d’émettre en Suisse, la bataille semblait gagnée. C’était compter sans le cartel organisé des câblo-opérateurs. TéléGenève a rapidement fait savoir qu’elle refusait de transmettre le signal suisse de M6 sur son réseau, le plus grand de Suisse romande.

«Nous sommes actionnaires de la chaîne locale genevoise Léman Bleu à hauteur de 15%, explique Michel Vieux, de TéléGenève. Un tiers des revenus de cette chaîne vient de la pub et nous ne voulons pas que le marché se répartisse avec des concurrents étrangers. Par ailleurs, la version suisse de M6 n’apporte aucune nouveauté pour nos spectateurs: seuls les écrans publicitaires sont différents. En dernier lieu, la Télévision romande serait la principale à souffrir d’un émiettement du marché publicitaire et nous avons une sympathie naturelle pour la TSR: ils sont Suisses et nous aussi… M6 nous paie mais cela ne change rien. Même s’ils nous payaient davantage, nous ne diffuserions pas leur canal.»

Lausanne a suivi la même politique protectionniste. Sans les deux principales villes romandes, les chances de M6 sont réduites à néant. «Nous avons encore l’espoir que la situation évolue, dit Claudia Lutz chez IP-Multimedia. Nous attendons que les câblo-opérateurs nous retournent les contrats et nous évaluerons nos chances ensuite. Nous n’avons pas d’alternative: nous devons passer par leurs réseaux.»

Actuellement, entre 20% et 30% des 480 minutes mensuelles de pub suisse de M6 ont été réservés pour le mois de janvier. Mais les contrats sont suspendus aux autorisations des câblos, qui refusent de bouger.