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Joschka Fischer et l’Allemagne en mutation

Le gouvernement allemand ne se contente pas d’accueillir dès mardi les négociations entre clans afghans. Il va aussi envoyer 3’900 soldats en Asie centrale. Analyse.

Les Genevois qui espéraient que leur ville serait choisie pour abriter la conférence onusienne en seront quittes pour une désillusion de plus. Et une réflexion à mener, dans le genre «comment la Suisse, pays sans politique étrangère, peut-elle capter l’intérêt des grands de ce monde?» Ou bien: «Quelles mesures s’imposent d’urgence pour éviter que l’ONU ne déserte Genève?»

On le sait désormais, c’est Bonn, l’ancienne et douillette capitale, qui abritera dès mardi les négociations entre clans afghans. Ce n’est pas par hasard. Ce week-end, à Rostock, les Verts allemands tiennent congrès. Leur leader, Joschka Fischer est ministre des Affaires étrangères. C’est un homme qui s’est révélé au cours de ces deux ou trois dernières années comme un maître de la négociation, un champion de la diplomatie, une des grosses têtes de la politique mondiale.

Des Balkans au Proche-Orient, de Washington à Islamabad, il est toujours là au bon moment. Pas par opportunisme, mais par flair politique, un flair politique qui lui est venu depuis son plus jeune âge. Il est vrai par contre qu’il ne brille pas par son originalité: la politique étrangère allemande est, comme toujours depuis un demi-siècle, à la remorque de celle des Américains.

Cette conférence onusienne de Bonn tombe à pic pour Joschka Fischer: elle apporte une fois de plus la preuve de son savoir-faire à des écolos très divisés sur sa politique afghane. Le gouvernement allemand a en effet décidé d’envoyer 3’900 soldats en Asie centrale, bien loin de l’Europe, plus loin encore des frontières allemandes. Difficile pour Berlin de prétendre qu’il s’agit d’un contingent défensif!

D’ailleurs Schröder et Fischer ne le prétendent pas. Pour eux, ils s’agit juste de tourner définitivement la page de la défaite de 1945 et de donner à l’Allemagne la place qui devrait être le sienne dans le concert des nations, celle d’une importante puissance secondaire.

Schröder a obtenu mardi dernier, au congrès du SPD à Nuremberg, l’appui de 90% de son parti socialiste pour cette politique. Le vendredi précédent, il n’avait obtenu que deux voix de majorité au parlement, la droite (pourtant d’accord) ayant voté contre par principe. Quel score fera Fischer dimanche devant les siens?

Difficile à dire. Pour le moment, c’est moitié-moitié. Le parti peut tomber d’un côté comme de l’autre. Un vote négatif sur la politique afghane affaiblirait énormément la coalition rose-verte de Schröder et Fischer et pourrait même entraîner une chute du gouvernement et des élections anticipées – même si ce scénario semble écarté outre Rhin.

Mais mercredi, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a donné un solide coup de pouce au gouvernement: le recours du PDS (extrême-gauche) contre la décision d’envoyer des troupes au Kosovo en 1999 a été rejeté. La nouvelle politique militaire allemande a ainsi reçu sa caution juridique.

Le congrès des socialistes allemands s’est terminé hier jeudi avec le maintien dans le programme du parti de deux points importants pour l’Europe: la renationalisation de la politique agricole commune (la fameuse PAC qui engraissa les céréaliers français) et l’adoption du fédéralisme à l’allemande comme système interétatique européen.

Les deux thèmes sont électoralement porteurs et le SPD ne manquera pas de les utiliser pendant la campagne électorale. Au niveau international par contre, ce programme ne plaît pas à tout le monde. Les socialistes sont au pouvoir dans les trois grands Etats de l’UE: Allemagne, Grande-Bretagne et France. Tony Blair a fait le déplacement de Nuremberg pour soutenir son copain Schröder. Mais les socialistes français ont brillé par leur totale absence.