Cinquième épisode de notre feuilleton de politique-fiction. Ce récit présente le scénario-catastrophe auquel le Forum de Davos a échappé de justesse en délocalisant sa prochaine édition à New York.
Dans la nuit qui précède le Forum de Davos, un certain Tsutsui, repris de justice, veut faire sauter un relais de téléphonie mobile. De son côté, Max vom Pokk, invité au Forum, se retrouve au lit avec Frénésie, qui n’a plus fait l’amour depuis quatre ans. Lire ici le début du récit.
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Chapitre 5.
Max et Frénésie sont assis dans le lit, l’un à côté de l’autre, comme s’ils venaient de faire l’amour. Leurs doigts emmêlés, leurs sourires complices, leur nudité absolue. Mais pour la morale, il ne s’est encore rien passé. Quelques caresses intimes, elle sur son sexe, lui autour du sien, mais rien d’irréparable.
Sur la table de nuit, trois sachets roses en parfait état. Elle dit:
– Tu m’as plu dès que tu es entré dans le salon. Auf dem ersten Blick. Le premier regard, il n’y a que ça qui compte.
Tout à l’heure encore, il pensait que dans cinq minutes ils seraient sous la douche, elle se rhabillerait ensuite, irait dans son chalet voir sa fille endormie, ils se reverraient peut-être, ou bien elle déciderait que Max n’était pas son type. Que les Noirs faisaient mieux l’amour que les Blancs, ou bien que… Mais ici se joue une autre histoire. Une femme qui prétend parler d’amour avant de le faire, c’est presque impudique aujourd’hui. Il essaie bêtement de vérifier en demandant si c’est bien vrai. Quatre ans et demi sans faire l’amour?
Elle se glisse le long de son ventre, le touche de partout comme pour l’apprendre par cœur. Entre-temps le sexe de Max s’est ramolli, mais il lui semble la désirer plus fort qu’avant. Il lui raconte quand il était enfant et que son père invitait un homme d’affaire noir, il allait le lendemain voir si les draps n’étaient pas noirs. Elle l’interrompt:
– Et tu devais constater que ton père avait raison. Tu verras, demain matin, ces draps seront noirs. Nous, les négresses, nous laissons toujours un peu de notre cœur noir dans les lits où nous passons.
Max en profite pour lui demander si le père de sa fille est un Noir. Elle dit:
– Qu’est-ce que tu crois?
Mais elle ne satisfait pas sa curiosité. Puis elle lui lance un si beau sourire que, même sans avoir couché avec elle, il sent ce regard lui vriller le cœur plus profond qu’il ne l’aurait voulu. Ils parlent de la scène qui s’est déroulée vers cinq heures de l’après-midi. Elle dit l’avoir vue au journal télévisé du soir:
– On te voyait en gros plan, protégé derrière un cordon de policiers. Toi, à l’intérieur du périmètre. A l’extérieur, une foule de manifestants. Un Japonais, le visage déformé par la haine. On le voyait te montrer du doigt. Crier ton nom. Je ne me souviens plus exactement. Il criait ton nom, avait l’air de te connaître.
Non, Max ne le connaît pas. Le manifestant savait le titre de sa conférence de demain: «De mai 1968 à Septembre 2001». Facile, c’est sur internet, peut-être même avec une photo. Sans être un personnage public, Max n’est pas complètement anonyme. Il est partenaire de l’agence d’architecture MNOP à New York, chargé de la construction des halles de fret. Un spécialiste mondial.
– Oui, mais pourquoi, Max, pourquoi justement ce Japonais t’en voudrait-il?
Max pense que c’est de bonne guerre, donner un visage à l’ennemi, trouver des figures expiatoires. On faisait ça aussi en 68. Chacun construit ses têtes de Turc, mais Max ne s’attendait pas à en devenir une. Il a beaucoup hésité à venir à Davos, il ne fait plus de politique, court les marathons, essaie d’être honnête avec ses contemporains et de construire les hangars les plus adaptés aux besoins.
Frénésie dit que Max a l’air d’un type absolument libre. Ce qu’il prend pour un compliment, même s’il ne voit pas ce qui lui fait dire ça. Elle est au moins aussi libre que lui. Quant à cet imbécile de Japonais, il fait partie d’un autre monde, celui de l’extérieur.
Chaque génération doit faire sa place. Il reste à celle-là un long chemin à parcourir avant de s’installer dans les fauteuils occupés par la génération des années soixante.
(A suivre)
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Jusqu’au 30 janvier 2002, les épisodes de «Davos Terminus» seront publiés sur Largeur.com chaque lundi, mercredi et vendredi. Lire ici le sixième épisode.
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A la même cadence, «Davos Terminus» sera publié en traduction anglaise sur le site new-yorkais Autonomedia.org.
