CULTURE

BHL mouille sa fameuse chemise

Quelle tristesse de voir Bernard-Henri Lévy se prendre parfois pour un philosophe! Alors qu’il est un si bon journaliste. La preuve: son dernier bouquin.

Bonne journée: la Confédération décide d’offrir à ses employés une entrée gratuite à Expo 02, le procès de l’ex-préfet de Corse Bernard Bonnet s’ouvre à Paris, Mary Robinson défend la présence de femmes dans le futur gouvernement afghan et je viens de lire «Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire» de Bernard-Henri Lévy.

Bien sûr, il vient toujours un moment où ce brave Bernard-Henri lâche un truc qui vous agace. Avec son dernier livre, ça m’est arrivé dès le sixième paragraphe qui débute ainsi: «Je me souvins de la confidence que m’avait faite le Président Izetbegovic…» On retient son souffle. Que va-t-il balancer? Un secret d’Etat? Ou un de ces ragots politiques qui intéressent toujours le concierge sommeillant en moi, même s’ils ont été recueillis dans la loge du Palais présidentiel bosniaque?

Je vous passe la suite, la révélation n’en est pas une, et de toute façon seul compte le début de la phrase: «Je me souvins de la confidence…» Voilà ce qu’il faut retenir: Bernard-Henri Lévy est un type à qui des présidents en exercice font des «confidences» aux heures les plus graves alors que vous, qui êtes en train de le lire, recueillez surtout celles de votre coiffeuse.

Ah, cette manie qu’il a de vouloir se grandir en se hissant sur les épaules de ceux qui font l’histoire ou sont défaits par elle! Il aime suggérer une promiscuité entre eux et lui. Le voisinage du pouvoir l’excite. Le grise. Et lui brouille un peu la vue: Izetbegovic, un «musulman éclairé» comme il l’écrit deux lignes plus loin? Peut-être, mais à la bougie.

Cela dit, j’arrête ici de maltraiter Bernard-Henri Lévy. D’abord, ça ne m’amuse plus. Dans son cas, au fil des ans, l’éreintement est devenu un exercice machinal: comme une morne masturbation à laquelle les critiques se livreraient d’un geste las, en ressassant ce qu’ils ont déjà écrit cent fois sur ses chemises, son Arielle ou ses dîners en ville.

Ensuite, ce serait injuste puisque le BHL se bonifie en vieillissant. Son précédent livre, «Le siècle de Sartre», avait déjà des qualités qui l’emportaient largement sur ses défauts. Et il y a d’excellentes pages dans «Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire» (que de majuscules…) qui contient six reportages, publiés à l’origine dans «Le Monde», repris ici en version longue, pour lesquels il a tout de même un peu mouillé cette fameuse chemise dont on s’est tant moqué.

De l’Angola au Sri Lanka, du Burundi à la Colombie et au Sud Soudan, Bernard-Henri Lévy est allé voir ce que deviennent quelques guerres oubliée dont on ne sait plus rien sinon qu’elles se poursuivent. Catastrophes lentes. Enlisements dans le malheur. Agonies de pouilleux qui indiffèrent les chancelleries et les opinions publiques. Des guerres «insensées» dont la description vibre parfois d’une indignation que j’ai trouvée, pour ma part, tout à fait salutaire.

Le meilleur du livre est là. Dans ces reportages grâce auxquels on découvre que Bernard-Henri Lévy a un œil de rapace, un sens du détail qui résonne, du talent pour décrire l’état de déréliction propre à ces guerres oubliées, et même de la nuance dans le portrait comme l’illustre celui de cette jeune femme, kamikaze repentie, que les Tigres tamouls voulaient faire exploser dans une rue de Colombo.

Si Bernard-Henri Lévy s’en était tenu là, on ne lui aurait rien reproché. La suite est malheureusement aussi diverse que de qualité inégale. Ce sont des réflexions parfois pertinentes, parfois assommantes. On y trouve à boire, à manger, et même à philosopher comme dans ce paragraphe de la page 189 où j’ai dénombré dix-sept occurrences du mot «sens» — auxquelles il faut encore ajouter deux «insensés» et un «archi-sens»…

A part peut-être lui-même, qui croit encore que Bernard-Henri Lévy est philosophe? Le constat ne devrait cependant pas trop chagriner puisque le bougre, au fond, est un journaliste tout à fait honorable. Voilà bien le fin mot de l’affaire: je le préfère indiscutablement en petit-fils d’Albert Londres plutôt qu’en neveu de Jacques Derrida.

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«Réflexions sur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire». De Bernard-Henri Lévy. Grasset.

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Rachid Hema aime les livres. Il collabore régulièrement à Largeur.com et vit à Lausanne, en Suisse. Lire ici ses autres chroniques.