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«J’ai passé la nuit avec un robot parleur»

Les mots s’affichent à l’écran. «Bonjour, je suis Alice. J’aime me faire de nouveaux amis.» Le ton est toujours poli, patient et attentionné. Et la discussion commence, comme dans un forum en ligne habituel, où l’on parle de soi, de ses origines, de la météo, de cinéma, de sport ou d’amour. Sauf que cette fois-ci, au lieu d’un internaute, c’est un logiciel qui répond.

En se prenant au jeu du dialogue, on peut y passer des heures. Et la question que pose Spielberg dans son film «AI» prend tout son sens: peut-on avoir de l’affection pour une machine?

Les robots dialogueurs sont nés avec le fameux programme Eliza du professeur Joseph Weizenbaum en 1966. Eliza simulait un rendez-vous de psychiatre en posant essentiellement des questions liées à la thérapie (famille, relations, solitude, etc.). «Parlez-moi encore de votre mère», disait-il lorsque l’interlocuteur évoquait sa famille. Le logiciel avait passé le test d’intelligence de Turing, depuis lors contesté par la communauté scientifique.

«Eliza fonctionne comme un miroir de la personne avec laquelle le dialogue est engagé, a récemment expliqué Weizenbaum au magazine Wired. C’est ce qui rend le logiciel si humain!»

Au niveau informatique, les nouveaux robots parleurs (baptisés «chatterbots» en anglais) n’ont pas énormément évolué: ils fonctionnent toujours en repérant les mots-clés dans les phrases de leurs interlocuteurs et en recrachant une des réponses-types associées. S’il ne sait pas quoi dire, le robot répond systématiquement par une question, à la manière du «Is it a game?» («Est-ce un jeu?») lancé par le petit David du film de Spielberg. Mais les logiciels récents possèdent des bases de connaissances considérables, qui leur permettent de tenir des conversations relativement cohérentes. Mieux, certains apprennent des répliques qu’ils peuvent réutiliser lors de futurs dialogues.

Les scientifiques n’accordent cependant que peu de crédit à ce genre d’expériences: «Techniquement, ces logiciels n’ont pas beaucoup évolué, explique Boi Faltings, directeur du laboratoire d’Intelligence artificielle de l’Ecole polytechnique de Lausanne. Aujourd’hui, nous utilisons l’intelligence artificielle pour résoudre des problèmes concrets, par exemple l’optimisation des processus dans les entreprises. A part l’usage psychiatrique, je ne vois pas beaucoup de débouchés pour de tels robots parleurs.»

Les applications commerciales restent rares, mais des opérateurs internet – dont Lycos – réfléchissent à installer des robots pour animer des forums de discussion, au milieu des humains.

Emily Turrettini, éditrice du magazine en ligne Netsurf, se passionne depuis longtemps pour les robots parleurs: «J’en ai testé des dizaines de variantes et j’ai ainsi dialogué avec des logiciels qui simulaient Elvis, John Lennon ou même Jésus, sourit-elle. Je m’amuse à tester leur base de connaissances. Je leur demande s’ils aiment le chocolat ou s’ils savent danser. On obtient parfois des perles. C’est une façon amusante de perdre du temps!»

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Netsurf propose un recueil de discussions et de robots.

Le robot Alice, et la version installée sur le site du film AI.

Jésus robotisé

Quelques sites consacrés aux robots parleurs:
BotSpot
AgentLand

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Cet article de Largeur.com a été publié le 11 novembre 2001 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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