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Licencié par Swissair et délaissé par son amant

Alice Vinteuil, coiffeuse, a recueilli les confidences d’un steward dont la vie a été bouleversée par la faillite de la compagnie aérienne suisse.

Michel a perdu toute sa joie de vivre. Il n’a plus le cœur à rire et plus la tête à se moquer des travers de ses collègues et supérieurs. D’ailleurs, il n’a plus de collègues, plus de supérieurs! Lui que les clientes avaient surnommé «la Zaza», en raison de ses intonations à la Serrault dans «La cage aux folles», n’a même plus envie de se faire teindre les cheveux. «Alice, ma chérie, laissez faire la nature. Ces fils d’argent seront bientôt mes seuls signes extérieurs de richesse!»

Michel est déprimé et très en colère. Il vient de recevoir sa lettre de licenciement comme les 3499 autres employés de Swissair. Il y travaillait comme steward.

J’ai lu dans le journal que toutes les sociétés de Swissair ont inscrit un plan social dans leurs conventions collectives, avec délais légaux de congé et et indemnités en fonction de l’ancienneté. Toutes, à l’exception des stewards, qui n’ont jamais assuré leurs arrières. «Oh, Alice, ce que vous êtes cochonne! Bien sûr que j’ai toujours assuré mes arrières, c’est même ce que je faisais de mieux!», me dit-il avec cette cruauté à l’égard de lui-même que je lui ai toujours connue.

Michel se retrouve donc particulièrement démuni, à un âge, 39 ans, où il est difficile de retrouver du travail. Et comme il n’a jamais mis un sou de côté, il ne peut même pas prendre le temps de voir venir.

Sentimentalement, cela ne va guère mieux. Michel se rend compte que son amant, Arturo, un artiste peintre de douze ans son cadet, semble lui trouver beaucoup moins de charme depuis qu’il vit à la maison, traînant son mal de vivre dans un Adidas sans forme. Il se plaint de ne plus trouver dans le réfrigérateur les bouteilles de champagne et l’éternelle boîte de caviar que son «amant en uniforme» ramenait de chacun de ses vols.

Même l’élégant quatre pièces avec terrasse de Champel – le seul investissement de Michel – lui paraît désormais minable. «Arturo me regarde d’un air dégoûté, fait mille petits téléphones en cachette, et se venge de mes aventures passées en ne rentrant qu’une nuit sur deux! Je devrais mettre un terme à cette liaison dont je m’aperçois qu’elle ne repose sur rien, mais que voulez-vous, je n’ai pas la force de renoncer à ce qui me reste encore!».

Comme la plupart des employés de Swissair, Michel n’a pas voulu croire dans un premier temps à la faillite de cette compagnie prestigieuse, dont il portait l’uniforme avec fierté depuis quinze ans. «Cela peut vous paraître futile, Alice, mais je regretterai ce beau costume bleu. Vous ne pouvez pas imaginer l’effet sexuel qu’il pouvait produire sur les garçons!»

Avec une naïveté qui l’horripile désormais, Michel pensait que Swissair était éternelle, invulnérable. «Un tel symbole, vous imaginez! Swissair, c’était tout à la fois la sécurité, le Cervin, le chocolat et même les couteaux Victorinox!» Comme tout le monde, il avait cru aux propos rassurants de sa direction et pensait que cette mauvaise passe ne serait que passagère. «Comment voulez-vous qu’il en soit autrement? Même la Confédération est tombée des nues!»

Puis, il avait dû l’admettre. Swissair n’était plus rien qu’une compagnie à terre, incapable, elle si chère et parfois si snob, de rembourser ses clients lésés. Une grotesque baudruche dont on ne pouvait que rire. «Une catastrophe qui ne provoque aucune compassion, c’est absolument tragique!»

Aujourd’hui, Michel en veut à la direction, aux banques et surtout à Bénédict Hentsch qu’il appelle «la Hentsch», avec une grimace de mépris. Michel a toujours eu tendance à féminiser les noms…

Mais si sa rage est grande, sa tristesse l’est encore davantage. Pour Michel, Swissair n’était pas seulement une compagnie d’aviation, c’était sa famille. Il avait vécu le meilleur de lui-même à son bord; elle lui avait donné des ailes pour son coming out voilà dix ans.

Depuis, Michel n’avait plus à vivre avec la honte d’être «la petite fille ratée d’une famille de notaires depuis trois générations». Il avait vécu ses désirs sans entrave, avec faste et parfois même quelques sentiments laissés dans un hôtel proche de l’aéroport. Il se sentait libre et puissant. Il n’avait plus rien à craindre. «Mes plus belles heures de vol, je les dois à Swissair. J’ai été jeune et beau avec elle, que deviendrai-je maintenant? Mon avenir est derrière moi. C’est bête à dire, mais j’ai vécu avec cette compagnie une grande et belle histoire d’amour»

Quelques gouttes ont coulé sur son visage. Il a vu que je le voyais pleurer. Michel m’a demandé un peu plus de puissance dans mon séchoir à cheveux. Il voulait que ses larmes disparaissent plus vite et que ses reniflements soient couverts par le bruit de la machine.