LATITUDES

Que faisiez-vous le 11 septembre? Vos souvenirs font avancer la science

Des chercheurs s’intéressent à la manière dont les événements du 11 septembre ont été vécus. Ce jour-là, votre mémoire à encodé un «souvenir flash». Peut-être semblable au souvenir de la mort de Diana.

Imaginez que, dans quelques années, on vous demande: «Où étais-tu le 11 septembre 2001?» Pour répondre à cette question, vous ferez appel à ce que les spécialistes nomment votre flashbulb memory, traduit généralement en français par «souvenir flash». Il s’agit d’un type bien particulier de mémoire que de nombreuses équipes de chercheurs tentent de cerner.

Pour l’anecdote, j’accompagnais ce jour-là un groupe de marcheurs partis à la découverte des Franches-Montagnes. En milieu d’après-midi, un appel a retenti sur le mobile de mon amie Delphine. La conversation n’a pas duré plus d’une minute. «Ecoute, je te rappelle ce soir, mais calme-toi…»

Puis elle m’a expliqué que c’était sa sœur, dépressive, qui lui annonçait le déclenchement de la troisième guerre mondiale. Nous avons échangé un clin d’œil, nous gardant bien d’annoncer la «nouvelle» à notre entourage…

Aujourd’hui, des millions de personnes sont prêtes à parier qu’elles n’oublieront jamais dans quelles circonstances elles ont vécu cet événement. Leur mémoire a encodé un «souvenir flash» qu’elles estiment très fiable. Je ne fais pas exception à la règle et j’abonde dans leur sens.

Des exemples? Je me souviens encore de la robe que ma mère portait le jour de l’assassinat de Kennedy, de l’endroit exact et des personnes qui m’entouraient lors du décès de Lady Di, de mon emploi du temps le 31 décembre 1999. Des expériences collectives, émotionnellement fortes, seraient-elles à l’origine de ce que l’on appelle une «excellente mémoire»?

Il y a débats académiques au sujet de la singularité, de l’occurrence et du mode d’encodage et de stockage de cette mémoire flash. Depuis quelques semaines, l’équipe du professeur William Hirst de la New School University tente précisément d’exploiter au mieux le 11 septembre pour progresser dans ses recherches à ce sujet.

Intitulé «Vos réactions au récent attentat terroriste», un questionnaire de 13 pages a été envoyé à un échantillon représentatif de citoyens américains avec pour consigne de le retourner au plus vite et d’accepter un suivi sur plusieurs années.

Parmi les quarante-trois questions posées, relevons: «Quel temps faisait-il ce jour-là?», «Combien d’avions étaient impliqués dans l’attaque?», «Où était le président?». Il s’agit aussi, pour les sujets, d’ordonner chronologiquement six faits: l’attaque du Pentagone, de la première tour, de la seconde, l’effondrement d’une tour, de l’autre et le crash de l’avion près de Pittsburgh.

Le professeur William Hirst s’était déjà signalé par une précédente étude menée auprès des Roumains et de leur mémoire des prix avant la chute du régime soviétique. Sa conclusion: «Les prix étaient meilleur marché pour les sujets favorables au régime communiste que pour les opposants – du moins dans leurs souvenirs».

Une telle découverte venait renforcer l’opinion des scientifiques concernant les souvenirs, réputés peu fiables. Quelques années plus tôt, en 1977, deux psychologues de Harvard, Roger Brown et James Kulik, avaient ébranlé quelques certitudes avec leur «hypothèse de la flashbulb memory», prétendant que cette mémoire flash était extrêmement détaillée et presque indélébile.

Les événements imprévus d’importance nationale et internationale suscitent souvent des souvenirs contextuels à l’aspect particulièrement riche. Un «souvenir flash» se caractérise par un rappel vivace, précis et détaillé des circonstances personnelles liées à l’annonce d’un événement médiatique (lire «Souvenirs flashes: le rôle des émotions», Olivier Luminet, dans Sciences Humaines, no 107).

De tels souvenirs se maintiennent à long terme et sont rappelés avec beaucoup de confiance de la part du sujet. On pourrait en conclure qu’ils sont stockés en mémoire de manière permanente, comme des photographies. Initialement défendu par plusieurs psychologues, ce point de vue est remis en question. Un niveau élevé de certitude ne constitue pas une garantie de l’exactitude du souvenir.

Le phénomène très particulier des «souvenirs flashes» n’en est pas moins bien réel. Les études relatives au 11 septembre devraient contribuer à mieux les comprendre.

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Pour tester votre mémoire: un jeu de souvenirs flash.

Un ouvrage de référence: «Flashbulb Memory» de Martin Conway, University of Bristol.