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Le monologue intérieur de George W. Bush

Que se passe-t-il dans cette tête? Christophe Gallaz, en vacances dans le cerveau présidentiel, nous envoie une carte postale.

«Voilà, je reviens de Chine. Je n’ai jamais autant voyagé. Il est étrange de devenir si brusquement président. Tout se dilate d’un coup autour de vous. La planète, maintenant, je suis bien obligé d’en faire mon affaire.

»Ce job m’a longtemps effrayé. J’ai tout de suite éprouvé le sentiment de basculer dans l’inconnu. Heureusement que j’ai le Texas et papa, avec sa bande d’amis. Heureusement, aussi, depuis les attentats, que j’ai le peuple américain tout entier. Je n’ai plus besoin de jouer ni l’intelligent, en mimant la maîtrise de mes dossiers, ni l’imbécile, en essayant de rendre mes bévues pittoresques.

»Evidemment, c’est moi qui m’exprime et qui me montre. On me surveille. On me guette. Mais tout me semble aujourd’hui plus facile. Nous sommes solidaires, et pour longtemps. Même en Chine, les choses se sont passées simplement. Je m’exprime aujourd’hui partout très exactement comme je me suis toujours exprimé, au naturel, à la texane, et hop!, ça passe comme à la maison.

»Je dois l’avouer: le fait que les terroristes nous aient élus comme la puissance mondiale à détruire représente une déclaration de jalousie prodigieusement rentable. Depuis le 11 septembre, je suis encore plus fier qu’auparavant d’être Américain, de pouvoir l’être et de pouvoir le dire en face de tous mes interlocuteurs. L’identité des Américains rayonne en soi comme une victoire.

»Ben Laden nous rend service. Je sais que nous l’avons fabriqué voici quelques années, par le biais de la CIA. Et je sais maintenant qu’il nous rembourse. C’est lui qui fabrique notre élan et fortifie notre pouvoir dans le monde, y compris dans cette Europe où Tony Blair s’agite comme un caporal zélé. Je joue sur du velours. Voyez Kyoto, ces interdictions de prospection pétrolière en Alaska, ou ces critiques qu’on nous adressait de produire le tiers de la pollution mondiale. Fini, tout cela. J’incarne une morale justicière qui dissimule totalement le fait que je n’incarne aucune morale d’une autre sorte.

»C’est pourquoi j’ai pareillement joué le jeu, dès l’instant où j’ai pris la main de papa dans la mienne en la cathédrale St-Patrick à Washington, quelques jours après les attentats, devant les photographes et les caméras de la télévision. Je pressentais que mon élection trafiquée s’en trouverait aussitôt nettoyée. Gore n’existe momentanément plus. Je suis devenu le chef indiscutable au-delà des partis, des lobbies et des générations.

»Aussi longtemps que cette situation durera, je ne vois aucun motif de suspendre les bombardements que nous menons en Afghanistan. Continuer à larguer là-bas de nuit un peu de cette nourriture en sachets jaunes, et nous pourrons continuer sans remords. La machine est lancée. Ce Ben Laden, quand même, mon complice inversé… Que Dieu nous bénisse.»

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Dessin original: Marie Terrisse