Amélie a traversé la Manche avec la fabuleuse mission de faire chavirer les Anglais. Son visage mutin, le charme des vieilles gares de Paris, le maraîcher franchouillard de Montmartre et l’ambiance brasserie si démodée qu’elle en devient trendy, tout cela ne pouvait que plaire aux Britanniques, pensait-on. D’autant que, souvenez-vous, le destin de cette stratège des petites manières a basculé le jour de la mort de Lady Di.
Du coup, on a mis les bouchées doubles: Londres n’a pas découvert un petit film étranger surprenant mais a assisté à la sortie d’un «french blockbuster» avec une promo impressionnante: un nombre inhabituel de copies, près de 600’000 livres de budget (1,5 millions de francs suisses) et une réception grandiose à l’Ambassade de France où l’on a vu Audrey Tautou accrochée au bras de Mick Jagger.
Le public accourt, projette «Amélie» au sommet du Top Ten dès sa première semaine d’exploitation en octobre. Dans le noir, il rit. Mais plutôt par tendresse pour la voleuse de nain de jardin que pour le comique pastiche de la vie d’Amélie racontée par Frédéric Mitterrand.
Du côté de la critique, cette arrogance d’un succès assuré a rendu les commentateurs plus méfiants qu’indulgents. La presse se divise en deux camps: ceux qui ont succombé et ceux qui ont été franchement «écœurés par le conte de fée doucereux» (The Editor, supplément du Guardian).
The Independent a été sensible aux «images qui parlent», les photomatons, les copies Renoir, les portraits léchés du réalisateur Jean-Pierre Jeunet. Le critique est fier d’avoir reconnu les influences du film, c’est-à-dire, d’après lui, Renoir justement (père et fils), Marcel Carné, René Clair et Georges Perec tout à la fois. Quant à Audrey Tautou, «elle est vraiment jolie, mais elle n’arrive pas à la cheville d’Audrey Hepburn», remarque The Independent on Sunday. «Elle se situe quelque part entre Betty Boop et Bambi avec les chaussures d’Olive».
D’entre toutes, c’est la critique de The Observer qui est la plus éclairante sur cet étrange effet-miroir entre un film identitaire et sa réception à l’étranger. Le journaliste de l’hebdomadaire dominical aime ce film fait de petites histoires sociales et politiques, réelles ou imaginaires. Ça lui rappelle un peu «Zazie dans le métro». Mais, outre le fait qu’il trouve le film trop long, il doute que les Anglais soient aussi conquis que leur cousins gaulois.
«Ce film a rassuré les Français en leur faisant croire qu’on pouvait recréer leur cinéma de boulevard à l’époque de Chirac, écrit-il. Tout comme le «Notting Hill» de Richard Curtis nous présentait un monde irréel d’onctuosité britannique. C’est probablement une question de culture. Mais la vraie France mange au MacDo et parle franglais; elle sait donc que le Montmartre de Jeunet n’est qu’un rêve. Les Anglais, eux, ne saisiront pas forcément ce second degré.»