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Des bombes dans une impasse politique

Après dix jours de bombardements en Afghanistan, le monde retient son souffle, Israël est au bord de l’explosion et l’Union européenne brille par son absence. Analyse.

L’aviation anglo-américaine a poursuivi mercredi, pour le dixième jour consécutif, ses bombardements sur les principales villes afghanes et, semble-t-il, sur la ligne de front au nord de Kaboul. Avec l’entêtement qu’on lui a vu en Irak et dans les Balkans, le commandement américain poursuit imperturbablement des bombardements quantitatifs (avec leur habituel cortège de dommages collatéraux) en espérant qu’un jour ou l’autre, par dieu sait quel coup de baguette magique, les victimes désignées (la population afghane) vont lever les bras au ciel et implorer clémence.

Le problème est que ces victimes n’ont pas, à part les coups, une perception nette de ce qui leur arrive et que les talibans sont eux fermement décidés à ne pas se laisser impressionner par ces bombardements.

Impasses militaires et politiques

Militairement, c’est pour le moment l’impasse. Une impasse qui risque de durer car pour emporter la décision, l’aviation ne suffira pas. Il faudra une intervention au sol avec des troupes classiques d’infanterie, quel que soit le nom dont on daigne les affubler. Il paraît, selon certaines sources, qu’elles seraient déjà à pied d’œuvre à la frontière ouzbèke dans le nord du pays et au sud dans la région Kandahar.

Politiquement, les Etats-Unis font comme s’ils avaient déjà gagné sur le terrain pour mettre sur pied le régime qui devrait prendre la succession des talibans. En une semaine, nous avons assisté à à peu près tous les cas de figure possibles. Qui buttent sur des réalités inextricables:

1. Le discrédit de la fameuse Alliance du nord, rassemblement hétéroclite de forces qui ont mis le pays et Kaboul à feu et à sang au début des années 90, avant l’arrivée des talibans. Un discrédit que le soutien à l’intervention étrangère américaine et russe ne fait qu’augmenter ;

2. Le discrédit du roi réfugié depuis un quart de siècle à Rome et des émigrés en général. Jamais l’ancien monarque n’a été capable d’ébaucher une voie à la paix au cours des terribles années passées.

3. La solide implantation des talibans dans les campagnes où ils font régner une paix relative depuis quelques années. D’où la recherche éperdue de talibans «modérés» et présentables. Washington se trompe lourdement en traitant le régime taliban comme un régime imposé de l’étranger.

Coalition incertaine

En attendant des résultats probants, les Etats-Unis poursuivent leur quête d’alliés. Sur le principe, le succès est époustouflant: la quasi-totalité des Etats du globe proclament à qui mieux mieux leur volonté inexorable de lutter contre le terrorisme et d’extirper définitivement la bête immonde. En réalité, les choses sont beaucoup plus nuancées.

Les bombardements sur l’Afghanistan n’ont pas, jusqu’à maintenant, provoqué la vague d’indignation attendue. Même au Pakistan, un pays pourtant chauffé à blanc, les manifs d’intégristes sont loin de faire le plein. Mais c’est bien le seul point positif. Car les soutiens politiques autres que verbaux sont très lents à venir de la part des dirigeants du monde arabo-musulman. Les opinions publiques sont partout majoritairement anti-américaines. Et les hommes politiques de tous bords placent leurs pions en profitant de faire des mauvais coups pendant que les regards sont fixés ailleurs:

L’Inde bombarde des postes frontière au Cachemire au moment où Colin Powell arrive dans le coin pour calmer le jeu entre Islamabad et New Dehli. Alors que Sharon est contraint par Bush de lâcher du lest, le FPLP trouve le moyen d’assassiner un de ses ministres. La Russie profite des circonstances pour relancer le conflit abkhase aux portes du Caucase, région explosive s’il en est.

Pour mesurer le peu d’empressement suscité par la croisade américaine, il suffit de voir l’inertie totale de l’Union européenne, une UE qui serait pourtant bien placée, en raison de l’histoire et de la géographie, pour servir d’intermédiaire entre les Anglo-Saxons et le monde musulman. De même, les Nations Unies, pourtant couronnées d’un pimpant Nobel de la paix, sont pesamment absentes du débat. Et pour cause: les Américains ne pourraient faire admettre leur politique (et les bombardements) dans une telle enceinte.

Dans ces conditions, la folle campagne contre le bioterrorisme complaisamment relayée par les médias de toute la planète joue trop bien son rôle de diversion. A tel point que l’on se sait plus où s’arrêtent les propagandes. Le poids du cadavre du malheureux Robert Stevens mort de l’anthrax le 5 octobre est décidément beaucoup plus élevé que celui des centaines (des milliers?) d’Afghans bombardés à mort depuis 10 jours, sans savoir pourquoi, ni avoir connu Oussama Ben Laden.