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Géomag, le nouveau fléau des préaux

Quand j’ai entendu rouler la bille dans la rainure du pupitre puis rebondir six fois sur le sol avec un tintement métallique, j’ai pensé: «Ça y est, les billes sont de retour! Il va falloir être vigilant…»

J’ai sommé l’élève de ramasser sa bille et de la faire disparaître au plus vite. A ma grande surprise, il a brandi une baguette et m’a dit: «Regardez, Madame, c’est magique!» Et il a récupéré sa bille à distance, en se servant de la baguette comme d’un aimant. Baguette magique?

Magnétique, effectivement. C’est le tout nouveau fléau des préaux. Un jeu de construction, le Géomag, à visée éducative, mais que les jeunes ont vite fait d’adopter pour d’autres vertus. Je m’explique. Le jeu, produit par Plast Wood en Italie, est constitué de deux éléments principaux: des sphères en acier d’un diamètre de 12,7 millimètres (celles qui roulent dans les rainures des pupitres) et des barrettes en plastique aimantées de 27 millimètres de longueur, en nombre variable selon la grosseur de la boîte.

Il s’agit alors de combiner ces éléments pour obtenir des figurines. L’avantage des sphères est de permettre la rotation de certaines parties de la construction.

Au rayon jeu de Manor, à Genève, il occupe la tête des jeux destinés aux garçons. Pourquoi un tel succès? L’assistante du rayon, Madame Henry, reconnaît qu’il s’agit d’un produit relativement cher (de 14.95 francs les 14 pièces à 149 francs les 184 pièces), mais de bonne qualité: «Les aimants sont puissants et les constructions solides.»

Sur le site du produit, on apprend en effet que la principale caractéristique de ce jeu est le circuit magnétique qui est à la base de son brevet, «circuit rendu possible grâce à l’insertion d’une tige en acier entre les deux aimants permanents dans chaque barrette.»

L’apprenti du rayon jouet ajoute avec enthousiasme: «Ce qui différencie Geomag des autres jeux de constructions, c’est qu’il propose un nombre de combinaisons illimité, alors qu’une boîte de Legotechnic, par exemple, ne permet qu’une seule combinaison. Une fois la navette spatiale construite, le jeu est épuisé.»

Du côté des élèves, les motivations sont diverses. Ils fabriquent des atomes et des animaux, qu’ils aimantent un peu partout. Ils ont imaginé une panoplie de toupies. Yvan, 12 ans, commente avec émerveillement: «Tu aimantes la toupie à une objet métallique et tu la fais tourner. Quand ça tourne, c’est trop beau!»

Mais je pense que le plaisir que leur procure ce jeu tient surtout à sa face cachée, à son côté magique justement. Et paradoxalement, à son pouvoir destructeur. En plaçant un aimant derrière la lèvre inférieure et un autre devant, ils en font un piercing. Steve insistait l’autre jour pour que je lui laisse bloquer les aiguilles de ma montre avec un aimant cylindrique: «S’il vous plaît, juste une fois pour s’amuser!»

Donovan ricane et m’avoue, quand je lui demande ce qu’il compte faire de ses aimants: «On va pouvoir effacer les disquettes en salle d’informatique et les cassettes au labo d’allemand…» Et vider les cartes de crédit des profs? Je me garde de leur en donner l’idée…

Sur les boîtes de Géomag sont inscrits les mots suivants : magnétique – didactique – dynamique – embêtement – constructions. Embêtement? Le mot surprend. Puis on comprend qu’il s’agit d’une mauvaise traduction pour «raisonnement», lié aux problèmes de magnétisme opposé des barrettes, je suppose. Mais après discussion avec les élèves, je me dis que la traduction n’est peut-être pas si mal trouvée… A l’école, on se réjouit déjà.

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Une version raccourcie de cet article de Largeur.com a été publiée le 14 octobre 2001 dans l’hebdomadaire Dimanche.ch.

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