L’assassinat de Massimo D’Antona a été attribué à l’organisation révolutionnaire qui s’était rendue célèbre dans les années 70. Gérard Delaloye avance une autre hypothèse.
L’assassinat, le 20 mai au matin en plein centre de Rome, de l’avocat Massimo D’Antona, un ancien sous-secrétaire d’Etat spécialisé dans les questions de l’emploi, a replongé l’Italie institutionnelle dans un climat qu’elle espérait révolu. L’attentat a en effet été revendiqué par les Brigades rouges, une organisation qui avait disparu du panorama politique, sinon pénitentiaire, depuis 1988.
Les BR, fondées dans le sillage de la vague révolutionnaire déclenchée par les mouvement de 1967-69, connurent leur apogée en 1978 au moment de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Moro, alors simple président de la démocratie-chrétienne, mais homme-clé de tout le système politique italien. Les conditions de son enlèvement et de sa mort n’ont jamais été élucidées.
A la suite de cette mystérieuse «Affaire Moro», pour reprendre le titre d’un livre de Leonardo Sciascia publié quelques mois plus tard, les BR connurent un déclin rapide, puis l’oubli des prisons. Faut-il croire, comme le supposent à pleines pages les médias italiens, que l’attentat du 20 mai marque la renaissance des Brigades rouges? Je dirais prudemment que c’est possible, mais peu probable. Une opération des services secrets me semble plus vraisemblable.
Retour-arrière. Au début des années 1990, le renouvellement de la classe politique suscité par les enquêtes «Mani pulite» du juge Di Pietro et l’implosion de la démocratie-chrétienne a provoqué une redistribution des cartes d’une extrémité à l’autre de l’échiquier politique.
Alors que les fascistes se repliaient sagement sur la droite berlusconienne, l’extrême-gauche connut une profonde crise existentielle provoquée par la chute du mur de Berlin et la disparition (avec l’URSS) de la bipolarité mondiale. Nombre de ses militants intégrèrent Refondation communiste, ou se replièrent sur l’ancien PC, transformé en un vaste parti démocratique de la gauche. Un parti à idéologie très variable, mais néanmoins porteur d’un espoir réformiste.
C’est cet espoir qui, depuis une dizaine de mois, s’est évanoui. Parce que le coût social de l’entrée dans la zone euro a été élevé. Parce que la gestion D’Alema (ex-PCI) évoque le louvoiement opportuniste plutôt que l’enthousiasme réformateur. Parce qu’une bonne partie des citoyens en ont assez de voir leur pays transformé par l’OTAN en une base militaire depuis un demi-siècle.
Le climat social s’est ainsi durci au point que l’extrême-gauche (Bertinotti) a quitté la coalition gouvernementale et que D’Alema, pour rester au pouvoir, a dû chercher à droite le soutien que la gauche lui refusait.
A suivre la succession de «combinazioni» élaborée ces derniers temps par les hommes au pouvoir, on se croyait revenus aux années 80. Il n’est dès lors pas étonnant de constater qu’à la base, dans l’Italie bien réelle des usines et des banlieues, cette déception se traduise par des réactions très violentes: 33 attentats ont visé les sièges du parti de D’Alema depuis le début de l’année.
En outre, depuis le début de la guerre du Kosovo, les manifestations anti-OTAN se multiplient et gagnent en importance, même si ces violences sont réactives et ne portent pas un projet d’avenir.
Rien de tel en Italie pour ouvrir la voie aux aventures et aux provocations. Et inciter peut-être les services secrets à ressusciter d’hypothétiques Brigades rouges. Cela permet de renforcer le contrôle policier sur le territoire tout en créant une unanimité politique factice. C’est une recette qui a déjà fait ses preuves et qui peut encore servir.
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Gérard Delaloye, journaliste et historien, vit à Lausanne. Il est un observateur attentif de la scène politique italienne.
