CULTURE

Le piège de la machine qui fait caca

Les musées portent une attention démesurée aux excréments d’artistes. A Zurich, le public se précipite pour voir une machine à fabriquer des étrons.

L’endroit où il faut être cet automne, paraît-il, c’est à Zurich. Après Anvers et Vienne, le Musée Migros expose «buy cialis germany», la «machine à merde» de l’artiste belge Wim Delvoye, qui prétend être «la première tentative mondiale de recomposition artificielle des principes de la digestion»: douze mètres d’éprouvettes, de tubes et de pompes, un tableau électrique et des écrans pour contrôler la production clinique d’un magnifique étron une fois par jour, à 14h30 exactement.

Et pour l’accompagner, un discours alambiqué et bien consistant faisant de l’engin un modèle de «critique de la mécanique humaine et symbole de l’inutilité de l’art». Le public défile, commente et attend patiemment le soulagement quotidien.

Cette défécation artistique n’est en fait qu’un piège à consommateurs d’art qui s’est trompé d’époque. Dada et Body Art, c’est dépassé. Représenter les excréments humains avait du sens lorsqu’il s’agissait de renverser le tabou social selon lequel les expulsions corporelles n’étaient que déchets malsains ou dérives inavouables du sexe.

Comme pour la plupart des démarches artistiques modernes, c’est Marcel Duchamp qui a ouvert les feux, avec notamment sa fameuse «cialis ordering online» (1917), un pissoir déclaré œuvre d’art par l’artiste lui-même, mais refusé par le comité de la Society of Independent Artists. C’est le débat sur la valeur esthétique de l’œuvre d’art qui est lancé, mais c’est aussi le commencement de l’évocation des sécrétions du corps dans l’art.

Duchamp est aussi le premier à prendre son propre corps comme point de départ d’une performance artistique. Au début des années 60, la démarche fait beaucoup d’émules. L’Italien Piero Manzoni met en boîtes ses propres cacas et les vend au prix de l’or («Merda d’artista», 1961). A la même époque, Yves Klein exploite les possibilités d’utilisation du corps humain dans ses performances appelées «Anthropométries»: des corps enduits de peinture qui laissent leur traces spectrales en se frottant à la toile. Montrer leur corps productif et vivant, c’est aussi un moyen pour les artistes féministes dès le milieu des années 60 de combattre l’idée que la femme n’est qu’un modèle passif pour artiste masculin, un objet de l’histoire de l’art.

Dès les années 80, c’est plutôt le côté abject de la sécrétion qui s’impose, soit en relation avec l’épidémie du sida, soit pour dénoncer le matérialisme et l’attitude individualiste de la société. Certaines œuvres de la photographe new-yorkaise Cindy Sherman fonctionnent comme un baillonnement physique de la société de consommation.

Tant qu’à faire, plutôt que les délires scatologiques de Zurich, il vaut mieux visiter «Fluid», l’exposition organisée par la Wolverhampton Art Gallery près de Birmingham (GB), traitant justement des sécrétions humaines dans l’art contemporain avec le recul nécessaire à ce genre d’exploit.

Les cacas-pipis des artistes jouissent d’une attention démesurée auprès du public et des musées, qui craignent par dessus tout d’être pris pour de prudes censeurs. Un débat agite actuellement la National Portrait Gallery de Londres, qui hésite à acheter les portraits des quatre musicien du groupe Blur dessinés par Julian Opie (qui figurent sur la page de garde de leur site), sous prétexte que les chanteurs de britpop ne sont pas assez connus. Les fans des Blur rétorquent que le musée a bien payé, sans rechigner, une somme inavouable pour douze autoportraits de l’artiste britannique Sarah Lucas, dont deux où elle est assise sur ses toilettes. «C’est vrai qu’on avait pas encore de personnalité aux WC», explique le directeur du musée.

——-
«Cloaca» de Win Delvoye au Migros Museum für Gegenwartskunst, Limmatstrasse 270, Zurich, jusqu’au 14 octobre 2001.

«Fluid» à la Wolwerhampton Art Gallery, Lichfield Street, Wolverhampton (GB), jusqu’au 24 novembre.

——-
Christine Salvadé, journaliste, vit à Londres. Elle collabore régulièrement à Largeur.com.