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La riposte américaine face au droit international

Les Etats-Unis se mettront hors-la-loi s’ils décident seuls de répliquer militairement aux attentats. Explications de Marcelo G. Kohen, spécialiste en droit international à Genève.

Dès les premières heures qui ont suivi les attentats du 11 septembre, les autorités américaines ont qualifié ces attaques d’actes de guerre. Si cette formulation pouvait, au premier abord, sembler relever de l’émotion, elle n’était pas anodine. Elle permet en effet d’invoquer le droit de légitime défense individuelle (Etats-Unis) ou collective (par exemple l’OTAN).

Ce principe est fermement ancré dans la charte des Nations Unies, traité constitutif de l’ONU. La légitime défense peut être invoquée contre une agression armée, en attendant que le Conseil de sécurité se saisisse du dossier. Mais a-t-on réellement affaire, dans le cas des attaques du 11 septembre, à une agression au sens juridique du terme? Les Etats-Unis sont-ils réellement légitimés à employer la force contre l’organisation d’Oussama Ben Laden ou contre les Taliban?

Réponses de Marcelo G. Kohen, professeur adjoint de droit international à l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève.

Largeur.com: Si les autorités américaines parvenaient à prouver que les attentats ont été commandités par Oussama Ben Laden, les Etats-Unis seraient-ils en droit d’invoquer, comme ils le font actuellement, le droit de légitime défense pour riposter militairement?

Marcelo G. Kohen: Non, la légitime défense ne peut être exercée que contre une agression provenant d’un Etat, et non des actes commis par des groupes terroristes.

Largeur.com: Les Etats-Unis ont annoncé que les Etats qui hébergent les responsables feront également l’objet d’une riposte. Peuvent-ils attaquer le régime taliban?

Marcelo G. Kohen: Cela dépend du niveau d’implication des taliban dans les attentats. S’ils se sont contentés d’héberger Ben Laden et ses hommes, on ne peut en aucun cas qualifier cela d’acte d’agression. Les Etats-Unis ne peuvent élargir ainsi la notion d’agression pour invoquer la légitime défense. Ce qui est dès lors inquiétant, c’est qu’en attaquant l’Afghanistan, ils répondraient à une non-agression par une agression armée!

Largeur.com: Et s’il est démontré que les taliban ont été impliqués dans les attentats?

Marcelo G. Kohen: S’ils ont aidé de façon déterminante les auteurs des attaques, par exemple en leur indiquant les couloirs aériens à prendre, alors je pense que le régime afghan pourrait être tenu pour responsable d’un acte d’agression.

Largeur.com: Les Etats-Unis pourraient alors riposter?

Marcelo G. Kohen: Pas selon moi, mais la question est controversée. Je pense en effet que la légitime défense ne peut servir qu’à repousser une attaque en cours, et non à prévenir des attaques futures. Il n’existe pas, selon moi, de droit de légitime défense préventive. Mais vous savez, les Etats-Unis ont toujours eu une conception très large de la légitime défense. Ils ont ainsi justifié les bombardements de l’Afghanistan et du Soudan, en riposte aux attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998. Même l’invasion du Panama en 1989 a été justifiée en invoquant la légitime défense.

Largeur.com: Et si l’on admettait un cas d’agression, ainsi que l’existence d’un droit de légitime défense préventive?

Marcelo G. Kohen: Même dans ce cas, les Etats-Unis ne pourraient invoquer ce droit, dès lors que le Conseil de sécurité s’est saisi de l’affaire en adoptant la résolution 1368, le 12 septembre dernier.

Largeur.com: Ainsi, quel que soit le cas de figure, les Etats-Unis ne sont pas en droit de riposter.

Marcelo G. Kohen: Pas de façon unilatérale. Seul le Conseil de sécurité de l’ONU est habilité à autoriser l’emploi de la force armée. Il a d’ailleurs fait un premier pas dans cette direction en admettant que le terrorisme international constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales. Cette qualification est le préalable nécessaire à la prise de mesures d’ordre militaire.

Largeur.com: Au lendemain des attentats, le Conseil de sécurité a évoqué un «droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective» dans le préambule de sa résolution 1368. Certains y ont vu une base juridique à une riposte américaine. Qu’en pensez-vous?

Marcelo G. Kohen: Il ne faut pas oublier que cette résolution a fait l’objet d’un marchandage politique. Les Etats-Unis insistaient sur leur droit à la légitime défense, et je suppose que les autres membres du Conseil ne voulaient cependant pas qualifier les attaques d’actes d’agression. Le compromis a alors abouti à évoquer ce droit dans le préambule, et non dans le dispositif de la résolution. Cela n’autorise toutefois pas les Américains, selon moi, à utiliser la force comme légitime défense.

Largeur.com: S’ils décidaient d’agir seuls, les Etats-Unis se mettraient donc hors-la-loi.

Marcelo G. Kohen: Comme vous le savez, les Etats-Unis, comme d’autres grandes puissances, ne se soucient pas toujours du droit international.

Largeur.com: Même en l’absence de tout lien entre les terroristes et les taliban, une action militaire serait-elle possible contre les camps de Ben Laden?

Marcelo G. Kohen: Le Conseil de sécurité pourrait parfaitement autoriser des actions coercitives contre de tels groupes, s’il juge que de telles actions constituent un moyen approprié. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il existe d’autres outils juridiques, actuellement en vigueur, que ceux régissant l’emploi de la force armée.

Largeur.com: Quels sont ces outils?

Marcelo G. Kohen: Pensez à la récente Convention sur le financement du terrorisme, à la Convention sur les attentats à la bombe, ainsi que celles en matière d’aviation civile. Il faut que les Etats aient une volonté véritable de les appliquer et de coopérer pour mettre fin à ce fléau.

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Marcelo G. Kohen est professeur adjoint de droit international à l’Institut universitaire de hautes études internationales de Genève.