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La guerre, la guerre… Et le reste du monde?

Depuis quelques jours, les agences de presse ne parlent plus que des Etats-Unis. A tel point que la tête de Gérard Delaloye se met à gonfler.

Trop d’info tue l’info. Après m’avoir démangé pendant quelques jours, le déluge médiatique qui s’est abattu sur nos pauvres têtes depuis le 11 septembre 2001 commence à me donner des boutons.

Dimanche soir, alors que je profitais, comme de coutume, du Masque et la plume, l’émission de Jérôme Garcin sur France Inter, pour me livrer à quelques tâches ménagères, j’ai failli laisser tomber le plat que j’essuyais quand après cinq minutes de débat sur le dernier film de Rohmer, le journaliste s’interrompit soudain pour céder le micro à l’un des ses confrères qui nous lut un bulletin d’information sur la nouvelle guerre américaine. Pour nous dire quoi? Ce que l’on avait déjà entendu pendant toute la journée.

Je pensais reposer ma pauvre tête et voilà qu’on me la gonflait à nouveau! Il faut que je vous avoue qu’elle avait vraiment gonflé la veille, à mon journal, dimanche.ch. La chose vaut la peine d’être racontée tant elle donne du sens à notre époque et à ses drames.

Arrivé le matin à neuf heures, je tombe en arrêt devant la superbe maquette préparée par nos graphistes pour le numéro spécial USA. Puis je cherche l’espace réservé à la politique internationale dont j’ai la responsabilité. Il y a un bout de page largement mordu par une pub, mais qui laisse quand même de la place pour un article de 2000 signes, 4 brèves de 300 signes et deux têtières, ces petites photos commentées qui ornent le haut de nos pages. Je souris in petto en me disant qu’elle sera vite bouclée en fin de soirée. Et je me consacre à l’Amérique blessée.

Le soir, le cahier spécial terminé, je prends le fil de l’Agence télégraphique suisse (ATS) pour m’atteler à la page internationale. Je passe les dépêches et constate qu’il n’y a, en tout et pour tout, que cinq informations sur le reste du monde. Pas de quoi remplir ma page!

Je zappe sur Yahoo qui donne les grandes agences (AFP, AP et Reuters) pour constater que chez eux, il n’y en a que pour les attentats et le Proche-Orient et rien d’autre. Je vais voir ailleurs, toujours rien. De guerre lasse (si j’ose dire) et harcelé par le deadline, j’ai dû me résoudre à servir du réchauffé en têtière. Je suis parti à 23h15, il n’y avait toujours rien.

C’est une banalité de répéter que le monde entier est informé par trois agences de presse, dont deux sont anglo-saxonnes et une française. Quiconque voyage ou lit des journaux de pays différents, même assez éloignés du nôtre, a pu constater que le ton général de l’info brute est le même partout. C’est le socle bétonné de la pensée unique.

Mais quand cette pensée unique tourne au nombrilisme le plus éhonté, quand des entreprises censées, par contrat envers leurs clients, par devoir envers leurs lecteurs, livrer des informations sur l’état du monde en arrivent à évacuer la quasi totalité de la planète pour se lancer dans une course mercantile à l’audimat, c’est le signe que la situation est vraiment grave.

Je ne crois pas un instant que nous soyons à la veille d’une guerre, je ne pense pas non plus que les Etats-Unis, malgré leurs martiales proclamations, soient en état de guerre, mais imaginez un instant ce qui se passerait si c’était le cas. Quelle information pourrait-on avoir sur le conflit? Je parle bien d’information, pas de commentaire.

Il y a quelques années, un directeur africain de l’UNESCO avait caressé le projet de créer une agence de presse tournée vers le tiers monde, indépendante en somme des grandes agences internationales. Son projet suscita une levée générale de boucliers chez les Occidentaux qui lui cherchèrent des poux en épluchant ses factures, les trouvèrent et l’éjectèrent comme un malpropre.

Cette lourde défaite du tiers monde passa presque inaperçue, et pour cause. Reste le fait que qui contrôle l’info contrôle les masses et le monde.

Le proverbe dit «pas de nouvelles, bonnes nouvelles». Jamais il n’a sonné plus faux.