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Terrorisme: une réplique parfaite à la culture dominante

Les Américains ne vivront jamais plus comme avant. Le moment est historique, pour plusieurs raisons. Les voici.

Nous sommes vraiment entrés hier, mardi 11 septembre 2001, dans le XXIe siècle. Car à chacun de ses tournants, tels que vécus par la conscience collective, l’histoire appelle un moment symbolique. On peut dire que ce siècle ne s’est pas fait attendre.

Pour le précédent ce fut un peu plus long.. En 1905, le XXe siècle avait été annoncé par la première victoire d’un peuple oriental (le Japon) sur une puissance coloniale (la Russie), victoire si choquante pour les sujets du tsar qu’elle provoqua une première révolution avortée suivie 12 ans plus tard d’une vraie révolution.

Depuis l’attaque portée hier contre eux, pour la première fois dans l’histoire sur leur propre sol, les Américains ne vivront jamais plus comme avant. Le moment est historique pour plusieurs raisons. La violence et la surprise de l’agression, le coût humain et économique de cette même agression et l’orgueil inquiétant qui se cache derrière la symbolique des objectifs.

Les agresseurs ont frappé le symbole de la toute puissance néolibérale, les tours du World Trade Center et le quartier de Wall Street. Ils ont semé la panique dans le centre de commandement militaire le plus important du monde, le Pentagone. Il n’est pas interdit de supposer que l’avion qui s’est abîmé en Pennsylvanie était destiné à enflammer la Maison Blanche.

En quelques minutes, la tête du gendarme économique, militaire et politique du monde était tranchée. Ainsi, au Moyen Age, les paysans poussés à bout par des seigneurs par trop odieux, par trop haïs, les pendaient-ils haut et court à la porte de leurs châteaux avant de se faire eux-mêmes massacrer.

La date du 11 septembre 2001 restera inscrite dans l’histoire comme le début du déclin américain. Pas tellement parce qu’un mystérieux David a frappé Goliath au milieu du front, mais parce que Goliath se désintègre de l’intérieur, sécrète ses propres faiblesses, est aveuglé par sa voracité. L’administration Bush repose sur deux piliers: l’industrie du pétrole qui lui dicte sa politique étrangère (au premier chef, son soutien inconditionnel à la politique belliqueuse d’Ariel Sharon) et le développement du complexe militaro-industriel (notamment le programme antimissile justifié par la nécessité de se protéger des Etats dits voyous).

Or voici que l’Amérique de George W. Bush qui consacre quelque 350 milliards de dollars à sa défense est mise au tapis par une poignée d’individus capables de transformer des avions en bombes au nez et à la barbe de milliers d’agents des services de renseignements incapables d’utiliser les moyens techniques d’espionnage les plus sophistiqués.

La crue réalité révélée par les attentats d’hier est d’une brutale évidence: qu’il s’agisse de l’armée ou des renseignements, le système tourne à vide. Il est bouffé par la bureaucratie, par l’incompétence de ses agents et par leur totale absence de motivations autres que l’appât du gain ou le plan de carrière.

On sait que la CIA ne s’est jamais remise de la disparition de l’ennemi communiste. Depuis dix ans, les commissions d’enquêtes se succèdent sans pouvoir réformer un système grippé. Sur le plan militaire, il en va de même. On l’avait déjà observé lors de la fameuse guerre du Golfe qui ne fut de loin pas le succès répercuté à l’époque par CNN.

En réalité, ces grandes machines étatiques ne peuvent rien contre la volonté d’un individu. Peu avant l’effondrement de l’Union soviétique, un jeune Allemand en avait fait la démonstration en allant atterrir avec son petit avion au beau milieu de la Place rouge à Moscou, après avoir échappé à des systèmes de surveillance que craignait le monde entier.

La position américaine est rendue encore plus difficile par l’absence d’ennemi identifiable. Ce n’est pas en répétant, comme Bush, que le «terrorisme international ne passera pas» que Washington pourra résoudre la question. Le terrorisme ne naît pas par génération spontanée, il est toujours l’expression du désespoir d’une société. Et cette société couvre l’ensemble du tiers monde, les quatre cinquièmes de la population mondiale.

Même si les Etats-Unis parvenaient à trouver une solution au conflit judéo-arabe, leur tranquillité ne serait pas garantie tant l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et, désormais, l’Europe orientale se débattent dans une misère outrageante. Le recours attendu de Bush à la violence punitive (mais contre qui? à Kaboul? à Bagdad? à Tripoli?) ne fera qu’aggraver des contradictions déjà insurmontables.

Culturellement, le plus frappant dans les événements du 11 septembre est qu’ils apparaissent comme une réplique parfaite à la culture dominante. Tout s’est déroulé comme dans un jeu vidéo ou comme dans un de ces films où d’étranges individus venus d’une autre planète caracolent sur les gratte-ciel new-yorkais en semant la terreur. Notre réaction a elle-même obéi aux mêmes schémas: communication immédiate avec tout le monde par portable, par internet, par télévision. Le village global a vécu (et vit encore) le drame minute par minute, en direct.

Mais, hélas! ces images épouvantables de malheureux se jetant des fenêtres du World Trade Center pour échapper à l’enfer passeront dans nos consciences aussi vite que les horreurs que nous consommons quotidiennement. CNN, encore elle, résumait fort bien en titrant son interruption des programmes «America under attack». Aujourd’hui, elle est attaquée, demain elle attaquera. Le XXIe siècle a commencé…