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Elle collectionne les jeunes amants

Magali vient de fêter ses 46 ans. Avec ses cheveux naturellement auburn (parole de coiffeuse, elle n’a pas un cheveux blanc), ses grands yeux pastis légèrement cernés et sa bouche pulpeuse, c’est une belle femme mûre. Magali est consciente de sa séduction. Vieillir ne lui fait pas peur; elle sait que chaque année supplémentaire ajoute à son tempérament de Méditerranéenne épanouie.

Malgré ses trois enfants (de deux maris différents), elle n’a jamais cessé de travailler: Magali a toujours adoré l’enseignement. Depuis dix ans, elle officie comme prof d’anglais dans une école privée des bords du Léman. A chacun de ses élèves, même les plus nuls ou les plus arrogants, elle trouve une excuse, un charme ou un talent caché. Magali est la prof la plus appréciée du collège. Elle en éprouve une certaine fierté.

Depuis cinq ans, Magali vient se faire coiffer deux fois par mois dans mon salon. Je la connais bien. Elle est bavarde et ne déteste pas entrer dans les détails de sa vie privée. Il y a trois ans, elle s’était entichée d’un de ses élèves, un bel Irakien aux yeux d’ardoise. Elle en fut lasse au bout de trois mois. L’année suivante, ce fut le tour d’un Sénégalais, puis d’un Inuit et puis encore d’un Indien, soit disant descendant direct de Géronimo. «Que voulez-vous, Alice, je suis une collectionneuse de perles exotiques!», disait-elle en se moquant un peu d’elle-même.

Gourmande, Magali aimait les jeunes gens et ne s’en cachait pas. Elle appréciait en eux leur vitalité, leur naïveté, leur forfanterie, leur mauvaise foi, leur désir de plaire sans chichi, avec parfois même une certaine brutalité. Mais ce qu’elle aimait par-dessus, c’était leur manière de la regarder, elle, avec convoitise et timidité.

Ses jeunes amants de passage, Magali les avait joliment surnommés «mes fontaines de Jouvence». Chaque élève croqué lui donnait un peu plus de vitalité et de séduction. Magali avait fait de ses coups de foudre à répétition sa DHEA.

Un matin de mars, Magali arriva stressée au salon. Je ne l’avais encore jamais vue ainsi. «Alice, me dit-elle au moment de la coupe, il m’arrive une chose extraordinaire. Je suis amoureuse!»

«Comme d’habitude», lâchai-je presque machinalement.

«Non, justement, cette fois, c’est différent. Il s’appelle Leon. Il vient de débarquer dans ma classe; il parle à peine le français et guère mieux l’anglais. Mais au lieu d’adopter un profil bas, ce que ferait n’importe quel individu conscient de ses handicaps, il reste fier comme seul peut l’être un Espagnol. Il ressemble à un tableau du Greco. Vous savez, Alice, ces longs personnages pâles et longilignes, aux cheveux noirs et au regard suppliant. Il me trouble jusqu’à la moelle. Je ne peux pas croiser son regard sans rougir aussitôt. Devant Leon, je perds tous ses moyens. A mon âge, c’est ridicule! J’ai l’impression de vivre la chanson de Dalida, «Il venait d’avoir dix-huit ans.»

Magali, plus impulsive qu’hautaine, me demanda alors de lui couper les cheveux. Elle voulait un look plus jeune, plus dynamique. Je m’exécutai.

Deux semaines plus tard, elle revint au salon. Avant même de passer au shampoing, elle me tint au courant de l’évolution de l’affaire. Pour cacher son émoi, elle avait décidé d’être plus sévère avec Leon qu’avec les autres étudiants. Elle le reprenait sur sa mauvaise prononciation, le notait toujours plus bas que ce qu’il aurait objectivement mérité et ne lui adressait la parole qu’en regardant par la fenêtre.

«Je pensais ainsi le chasser de ma tête. Evidemment, c’est le contraire qui s’est produit. Leon est devenu une obsession. Il faut que je fasse quelque chose! Je ne peux pas vivre ainsi. Hier soir, j’ai imaginé un plan, dont je vous dirai la prochaine fois s’il a marché ou pas».

Sur cette énigme, Magali quitta le salon.

Au rendez-vous suivant, un mois plus tard (visiblement, elle avait eu beaucoup à faire), elle paraissait rassérénée. Visiblement son plan avait marché. J’étais curieuse de savoir ce qui s’était passé mais n’osais pas le lui demander franchement.

«Et comment allez-vous depuis la dernière fois?» Dis-je bêtement.

«Bien, très bien. J’ai mis mon plan à exécution, et voilà.»

«Quel était ce plan?»

«Oh, le plus banal que l’on puisse imaginer. Même le scénariste de «Sous le Soleil» aurait fait mieux. Comme Leon baragouinait à la fois le français et l’anglais, je lui ai proposé des cours particuliers à domicile. Je crois qu’il était heureux que je lui fasse cette proposition. Le pauvre garçon s’était imaginé que j’avais une dent contre lui! Ils sont si charmants à cet âge-là! Et voilà!»

«Et voilà quoi?»

«Et bien chère Alice, mon fantasme est devenu réalité. Leon s’est montré un amant charmant, délicat et passionné. Fougueux comme je l’avais pressenti. Il s’est très vite attaché à moi. Dès le lendemain, il m’envoyait des lettres passionnées en espagnol, des poèmes naïfs où il disait vouloir mourir pour sa belle maîtresse! Vous voyez le tableau? Adorable Leon, mais tellement fragile…»

Magali arrêta sa phrase dans un soupir. Je savais que je ne pourrais plus rien tirer d’elle. Un peu plus tard, rêveuse, Magali me demanda:

«Alice, vous ai-je déjà parlé de John, cet étudiant du Massachusetts avec lequel j’étais restée en contact?»