De Washington jusqu’aux champs cultivés de Suisse, les stagiaires intéressent beaucoup de monde de nos jours. Quel rapport avec la politique? Voici Gallaz.
Il est formidable d’être «stagiaire», terme particulièrement usité, ces temps-ci, dans les milieux politiques et médiatiques. Un «stage», comme disent les dictionnaires d’autrefois, ce n’est plus forcément la «résidence d’un nouveau chanoine avant qu’il puisse jouir de sa prébende».
C’est une «période d’études pratiques imposée aux candidats à certaines professions libérales ou publiques», une «période de courte durée pendant laquelle une personne suit des cours de formation à une activité professionnelle ou de loisir», ou tout bonnement un «séjour temporaire».
A partir de là, vous avez deux sous-acceptions possibles.
La première est d’origine américaine. Vous êtes Monica Lewinsky, par exemple, «stagiaire» en administration publique à Washington. Ou vous êtes Chandra Levy, «stagiaire» en administration publique à Washington.
Si vous êtes Monica, 20 ans et des poussières, vous serez priée par le Président des Etats-Unis de concourir à son bien être sexuel, avant que ce petit événement plonge le pays dans une sorte de tempête.

Et si vous êtes Chandra, 20 ans et des poussières équivalentes, vous serez aussi priée par le sénateur démocrate Gary Condit de concourir à son bien être sexuel, avant que ce petit événement plonge le pays dans une seconde tempête.
Pour quelle raison, en l’occurrence? Parce que vous disparaissez dans la nature. Pfuit! Depuis plus de trois mois, maintenant. Morte, peut-être.
Et vous avez la sous-acception suisse, dont la validité vient d’être rappelée par la conseillère fédérale Ruth Metzler. Dans ce cas, le «stagiaire» provient de Pologne, en grande quantité, et plus généralement de l’ancienne communauté des pays de l’est. Il travaille durement dans les milieux paysans helvétiques, notamment durant l’été, saison des gros œuvres champêtres.

Il contribue surtout fortement à la prospérité nationale, au double motif qu’il est scandaleusement sous-rétribué, révocable aussitôt que nécessaire, corvéable au maximum, et parfaitement escroqué sur le plan de la formation professionnelle – puisque la tâche du «stagiaire» consiste pour l’essentiel à cueillir le plus rapidement possible des pommes ou des abricots, avant de les amonceler fissa dans des harasses ou des cageots.
De part et d’autre de l’Atlantique, la ou le «stagiaire» est donc celle ou celui dont la machine économique et politique, prétextant une tâche d’enseignement et de perfectionnement, se sert pour réguler ses petites tensions intimes.
Tel est l’aboutissement d’un phénomène de perversion qu’on pourrait nommer pédago-pédophilique, en somme. Un signe de l’époque, en tout cas. N’aimons-nous pas en effet aujourd’hui, tous autant que nous sommes, la fraîcheur innocente des enfants, la jeunesse frelatée de la chair, et, en résultat d’inclinations mieux occultées mais pareillement obscènes, la robustesse inépuisable des travailleurs au noir?
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Illustration: Alexia de Burgos
