Slobodan Milosevic s’est réveillé vendredi matin aux Pays-Bas dans une cellule réservée aux détenus en attente de passer devant le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. Et lundi probablement, il affrontera le sourire radieux de la pétulante Carla Del Ponte.
Quatorze ans après avoir chauffé à blanc le nationalisme grand-serbe dans une manifestation monstre d’un million de personnes au Kosovo, «berceau historique du peuple serbe», l’âme damnée des Balkans est définitivement mise hors d’état de nuire. Ses fidèles n’étaient que quelques milliers mardi dernier à manifester en sa faveur.
Et en dix ans de guerres atroces autant qu’absurdes pour tracer des frontières dérisoires au non d’un nationalisme rétrograde, la Grande Serbie rêvée par Milosevic, sa femme, l’Académie des sciences de Belgrade, des escouades de généraux bardés de médailles et des bataillons de soldats de fortune est réduite à une peau de chagrin.
Le chef est aux arrêts, mais le désastre qu’il a provoqué n’est pas terminé: au Monténégro, en Macédoine, le nationalisme serbe est encore un danger et si l’on n’arrive pas à arrêter ce processus de désintégration, la Serbie qui fut de Milosevic n’aura peut-être même plus un accès la mer!
A propos et entre parenthèse: qu’en pensent les grosses têtes de l’Institut serbe de Lausanne, Vladimir Dimitrijevic et Slobodan Despot, qui depuis dix ans nous ont abreuvés avec leur littérature pornographico-serbo-nationaliste? Iront-ils à La Haye porter des oranges à leur idole?
Il y a une semaine, l’avant-dernier Bouillon de culture de Bernard Pivot s’est déroulée dans la grande bibliothèque de Sarajevo. Un plateau improvisé se trouvait juste sous la verrière de la bibliothèque, au milieu des échafaudages, car elle est loin d’être reconstruite. Ce lieu de haute culture fut détruit (expressément, on possède l’enregistrement de la voix du général serbe Mladic donnant l’ordre de la viser) dès le début du siège de Sarajevo, en mai 1992.
Pivot souligna que l’armée serbe tira sur sa propre culture qui représentait une part importante des rayons. Il souligna aussi que le XXe siècle avait commencé avec l’attentat de Sarajevo. On peut maintenant ajouter qu’il se termine symboliquement avec l’extradition de Milosevic.
Le gouvernement serbe (à ne pas confondre avec le gouvernement yougoslave du président Kostunica) a livré Milosevic au dernier moment. Aujourd’hui se réunit à Bruxelles une conférence des donateurs chargée d’élaborer un plan de sauvetage économique de la Serbie. Les Américains avaient fait savoir haut et fort qu’ils n’y participeraient qu’à condition que Milosevic auparavant soit remis entre les mains du TPIY. Ce que les Serbes, après de nombreuses tergiversations et au risque d’une crise politique grave de la fédération yougoslave, n’ont fait qu’à la dernière minute.
La loi américaine a donc prévalu. Politiquement, on peut être pour ou contre les Américains. Je suis pour ma part le plus souvent contre. Mais aujourd’hui, je ne puis que me ranger du côté de ceux qui leur adressent un grand merci.
Si la guerre des Balkans déclenchée par Milosevic en juin 1991 n’a pas embrasé toute la région, y compris la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce, c’est parce que, très tôt, ils sont intervenus aux points stratégiques, c’est parce que dès 1995 ils ont envoyé l’OTAN, c’est parce qu’en 1999, ils ont, avec les frappes aériennes, cassé les reins du nationalisme serbe.
Au XXe siècle, l’Europe continentale a été par trois fois le terrain de guerres terribles. Par trois fois, les Etats-Unis sont intervenus de manière déterminante. Ce n’est pas de l’idéologie, c’est la réalité, c’est l’histoire. Qu’ils en tirent d’énormes profits, tant mieux pour eux et tant pis pour nous Européens qui ne sommes pas capables de voir plus loin que les clochers de nos villages.
La loi américaine. Quelle force! Un autre homme politique en fait ces jours-ci la dure expérience et l’extradition de Milosevic a certainement dû nourrir sa réflexion au cours de la nuit écoulée. Il s’agit d’Ariel Sharon. Alors que le monde entier s’attendait à une riposte terrible au massacre de Tel-Aviv, le matamore israélien avale les couleuvres les unes sur les autres. A Washington, il s’est fait traiter comme un vulgaire gouverneur indiscipliné d’une province lointaine. A lui qui pensait avoir tous les pouvoirs, les vrais détenteurs du pouvoir ont fait remarquer sans ménagement que sans les dollars de Washington il n’était rien.