Chaque semaine, Christophe Gallaz attrape au vol un mot ou une expression en rapport à l’actualité. Aujourd’hui: le gang bang.
Il y a d’une part le big bang, formule cosmologique évoquant l’explosion d’où se forma notre Univers voici dix à vingt milliards d’années.
Il y a d’autre part le gang bang, littéralement «foutre en bande», expression mondaine évoquant la partouze ayant passé de son rang bourgeois classique, caractérisé par la concomitance sexuelle de quatre personnes ou légèrement davantage accompagnées chacune de leur cul, au rang post-bourgeois incarné ces temps-ci par la directrice de la revue culturelle Art Press Catherine Millet, pour qui la norme de la jouissance est fondé sur des participations nettement plus grosses: cinquante, cent voire cent-cinquante membres, chiffre au-delà duquel se brouillent généralement les décomptes.
Du big bang au gang bang, seul le principe de l’expansion perpétuelle semble avoir subsisté. Mais rien n’interdit de s’appuyer sur la relative homophonie de ces deux locutions pour discerner, dans les réalités qu’elles signalent respectivement, des exacerbations voisines à l’oeuvre.
Oui, de même que notre petite Catherine Millet et ses congénères en copulations collectives, le Rien pré-stellaire était sans doute accablé d’un ennui menacé d’éternisation, dont il percevait bien que nul Autre ne parviendrait à le sonder assez profondément. A force de consommation, à la fin de notre XXe siècle, le désir était mort, au sens de ce terme lorsqu’il désigne non seulement la pulsion brute des chairs, mais aussi leur mise en représentation par l’artifice.
Or comment ressusciter le désir quand il est mort? En le transférant de son registre naturel, qui est celui du théâtre et par conséquent de la séduction, au registre arithmétique. Plus précisément: en le définissant comme un record sportif ou comme une performance industrielle, qui sont les deux objets cousins de l’idolâtrie contemporaine.
Que je sois le Rien pré-stellaire ou Catherine Millet, la procédure devient dès lors extrêmement simple. Je m’impose d’abord un état particulier, qu’on pourrait qualifier d’avant-suicidaire: une manière de fermer violemment les yeux. Puis j’excite d’une manière ou d’une autre la matière ou l’antimatière autour de moi, dont l’excitation m’excite. Je deviens aussitôt on, c’est ce qui s’appelle baiser, et tout explose. Des corps un peu célestes adviennent alentour. Ils sont déjà recrus de fatigue, comme moi.
Y a-t-il un avenir? Ça n’a pas la moindre importance…
