Le premier ministre a présenté lundi son petit projet confédéraliste pour l’Europe. En attendant l’ouverture de la course à l’Elysée, il garde le profil bas. Très bas.
«Je suis français, je me sens européen». Lionel Jospin a trouvé le ton approprié pour parler de l’Europe sans passer pour son fossoyeur tout en renvoyant les grandes questions à un avenir plus propice – dans tous les cas après la présidentielle de 2002.
L’affaire, en somme, était entendue. N’oublions pas qu’au cours des quatre années qu’il vient de passer à Matignon, le premier ministre ne s’est pas vraiment fait remarquer pour son engagement européen. La présidence française, l’an dernier, avait tourné au cauchemar pour les diplomates hexagonaux, qu’ils soient de gauche ou de droite, jospinistes ou chiraquiens.
Sur le fond, le dirigeant socialiste ne fait donc que confirmer des options qu’on lui connaissait déjà: il ne veut pas dissoudre la France dans un gros machin qui deviendrait vite ingouvernable, surtout si l’on mise sur son élargissement proche à divers pays de l’Est. Comme Chirac, Jospin se veut «fédéraliste», mais dans le sens des «confédéralistes»: pas d’abandon de souveraineté, pas de construction supra-étatique, pas de dissolution des Etats nations dans un Etat européen capable de se poser en interlocuteur des grands d’aujourd’hui, Etats-Unis, Russie, Chine.
Non, charbonnier doit rester maître chez soi, même si le charbon est passé de mode.
Les positions développées par Jospin ont été plutôt bien accueillies dans le reste de l’Europe. C’est que chaque politicien ne peut que se réjouir d’une modération calculée pour éviter tous heurts entre les principaux partenaires. Seul Gerhard Schröder a laissé filtrer son scepticisme en demandant à son porte-parole de garder un profil très bas. Le chancelier allemand s’étant récemment déclaré favorable à une fédération européenne beaucoup plus musclée et centralisée, il ne pouvait pas faire autrement.
Si Jospin n’enterre pas l’Europe (d’ailleurs, le pourrait-il?), on ne peut pas dire qu’il lui donne la secousse qui permettrait de faire un grand pas en avant comme ce fut le cas il y a quelques années avec, par exemple, l’adoption de l’euro. En réalité, si aucun imprévu ne survient à court terme, il faudra attendre l’introduction concrète de la monnaie unique et les premières procédures d’élargissement à l’Est pour savoir comment se dessinera l’Europe des trois ou quatre prochaines décennies.
Si la voie Jospin prend le dessus, l’évolution se fera en douceur avec ici ou là un peu de léthargie, voire quelques relents de formol. Qu’elle le veuille ou non, la gauche française dirigée par Jospin et Chevènement prend des allures de Sainte Alliance en défense de beaucoup de chasses gardées: avantages acquis, service public, budgets militaires, intérêts nationaux, etc.
Pendant ce temps, la mondialisation qui ne connaît pas les frontières, qui ne respecte pas les souverainetés nationales, qui se fiche éperdument de la culture et encore plus des traditions, progresse à pas de géants. Un jour, ce hiatus entre l’acquis et les acquéreurs va faire boum. Et alors, on pourra peut-être parler de la réponse à apporter aux grands défis qui nous attendent. En tenant compte du fait que non seulement les Etats ne sont plus des nations, mais que la vie de tous les jours est glocalisée et que les niveaux intermédiaires entre le global et le local ont de moins en moins de poids.
