Alors que le courtier Swissquote ouvre la première banque virtuelle de Suisse, les géants du secteur perdent des millions dans de retentissants e-ratages. Quel avenir pour le e-banking?
Internet, les banquiers aussi y ont cru. Il y a à peine deux ans, tout ce qui touchait au Web suscitait chez eux des réactions euphoriques. Les activités bancaires virtuelles promettaient de juteux bénéfices. Et il fallait s’y mettre vite, avant que les courtiers en ligne ne raflent le marché.
Mais depuis la chute boursière de l’année dernière, le potentiel de clientèle a été sévèrement revu à la baisse. Ce printemps 2001 a été celui de toutes les douches froides. La prestigieuse banque Vontobel a perdu 250 millions de francs suisses dans un projet avorté de banque privée en ligne. Le projet avait été conduit par les consultants pourtant très respectés de Pricewaterhouse Coopers.
Comment expliquer une telle débâcle? Dans le e-banking, les investissements sont tellement lourds que le moindre ajustement stratégique coûte tout de suite très cher. Y compris chez le Credit Suisse Group, qui passe pour une référence en matière de banque virtuelle. En avril, le groupe zurichois a renoncé à un projet de centre de courtage en ligne européen basé au Luxembourg. Facture: 57 millions de francs suisses.
Ce printemps toujours, l’UBS a perdu des plumes dans l’abandon d’un projet internet destiné au grand public. A la suite du rachat de l’américaine PaineWebber, la première banque de Suisse a réorienté sa stratégie vers un segment de clientèle haut de gamme. Du coup, le site en préparation s’est retrouvé à côté de la cible. L’UBS a ainsi vu s’envoler 152 millions de francs, un chiffre cité par Larissa Alghisi, porte-parole de l’établissement.
Le secteur bancaire tire les leçons de ses débuts sur la toile et s’aperçoit «que le client souhaite toujours qu’une personne en chair et en os le conseille pour ses investissements», selon Ruth Stadelmann, porte-parole au Credit Suisse Group.
Le 100% virtuel a cependant toujours des adeptes. Vendredi dernier, la première banque suisse uniquement sur internet est entrée en activité. Les boursicoteurs connaissaient déjà Swissquote, le site de courtage en ligne basé à Gland, dans le canton de Vaud. Maintenant, Swissquote est aussi une banque. Une banque sans guichet. La clientèle peut y ouvrir des comptes pour effectuer des opérations sur les places américaines ou acheter les produits financiers d’autres établissements. La nouvelle entité appartient à 51% à Swissquote Group, coté sur le nouveau marché suisse, et à 49% au groupe Zurich, poids lourd de l’assurance et des services financiers.
Le phase de retour au contact humain que traverse le secteur bancaire n’inquiète cependant pas Marc Burki, directeur de Swissquote Holding. «Les clients de notre banque ne transfèrent pas toutes leurs affaires chez nous car nous n’offrons pas l’ensemble des services traditionnels. Dans notre créneau, on peut imaginer une relation avec la clientèle sans contact direct.»
Quels sont les secrets du passage réussi des banques sur internet? Dans son étude publiée récemment, Claudia von Türk, analyste chez Pictet, s’attaque à un mythe, celui du gain en productivité qu’on attribue au réseau. Du moment que le client en ligne effectue lui-même ses opérations bancaires, on pouvait imaginer une baisse considérable des coûts. Mais la réalité n’est pas aussi simple. Selon une enquête internationale, à peine 5% des établissements interrogés ont effectivement réalisé des économies avec leurs activités en ligne. Pire, chez plusieurs d’entre eux, les coûts ont même augmenté.
C’est que le client ne souhaite pas du tout quitter sa vieille filiale pour son terminal. Il continue à fréquenter son banquier et profite de la commodité d’internet pour solliciter davantage de services.
Wells Fargo est l’une des rares banques à gagner plus d’argent grâce à internet. Sa stratégie: augmenter la consommation de prestations et le volume des fonds plutôt que réduire les coûts. La banque américaine offre des services gratuits à ceux qui déposent plus de 5’000 dollars sur leur compte. Elle propose aussi des produits ciblés en fonction du profil du client. Résultat, les e-clients rapportent 50% de plus que le reste de la clientèle.
Dans le domaine particulièrement rentable de la gestion de fortune, les banquiers doivent s’attendre à une concurrence toujours plus sérieuse de la part des courtiers en ligne.
Selon Claudia von Türk, des prestations bon marché ne sont pas le seul atout du courtage virtuel. Il y a aussi la façon dont les courtiers en ligne ont su, du moins aux Etats-Unis, intégrer à leur offre des activités de conseil et des services complémentaires. Jusqu’ici, ceux-ci n’avaient pas pour cible la clientèle fortunée, qui restait dans le giron des banques traditionnelles. Pour combien de temps encore? Des brokers américains commencent à s’intéresser au segment des investisseurs qui disposent de plus d’un million de dollars. La lutte s’annonce impitoyable.
