Les anglicismes maladroits des Européens amusent Martine Pagé, journaliste québécoise, qui entame aujourd’hui une chronique régulière sur Largeur.com. Sans pourriel ni clavardage.
Partis du Québec pour faire une visite prolongée en Suisse et en France le mois dernier, mon copain et moi avons tué le temps sur la route, dans les aéroports et dans les gares, à nous moquer des panneaux publicitaires remplis d’expressions en anglais dans le but de faire «cool». Cette insistance des francophones européens à vouloir insérer des termes en anglais dans leur discours quotidien amuse beaucoup les Québécois.
Mais quand il est question des nouvelles technologies et surtout d’internet, cette insistance peut devenir carrément agaçante. J’ai entendu à plusieurs reprises au cours de mon séjour des phrases du genre: «Ouais, j’voulais lui envoyer un mél mais mon provaïdeur était encore down ce week-end.»
Je tombe régulièrement sur des dizaines de sites francophones nommés à l’anglaise avec de mauvais jeux de mots qui souvent ne veulent rien dire ni en anglais, ni en français comme Newsfam (site féminin) Meetyoo (enregistrement des signets), Infoeasy (portail), Realgarden (jardinage), Business on Net (commerce électronique) ou Woonoz (recherche assistée). La liste s’enrichit chaque jour.
Ces choix de langage étonnent les Québécois qui, en raison de leur isolement dans une Amérique anglophone, sont en général plus conscients de la menace qui pèse sur leur langue. Au Québec, on a rapidement adopté le terme «courriel» qui désigne beaucoup mieux que «mél» la véritable nature d’un message envoyé par internet. Et dire «fournisseur d’accès» n’est pas plus difficile que de se tordre la bouche pour prononcer «provaïdeur».
Pour venir en aide à ceux qui cherchent le mot juste, l’Office de la Langue Française et la compagnie montréalaise Semantix ont créé à l’automne 2000 le «Grand Dictionnaire Terminologique» dont l’accès en ligne est gratuit. Ce dictionnaire offre près de 3 millions de termes français et anglais du vocabulaire industriel, scientifique et commercial.
Les créateurs de ce site ont conçu une interface conviviale pour faire de ce dictionnaire un outil de référence qui soit véritablement utilisé, surtout en milieu de travail, et qui permette de promouvoir la langue française dans le secteur des technologies. Et ça marche. Un mois après son lancement, le Grand Dictionnaire Terminologique a répondu à 1,3 million de requêtes de la part des internautes.
Certaines traductions sont évidentes. Pour «e-commerce», on nous propose ainsi «commerce électronique» ou «cybercommerce». «Startup» devient simplement «entreprise en démarrage». Mais l’Office de la Langue Française a quand même le sens de l’humour. Une exploration de l’index par ordre alphabétique permet de dénicher des trouvailles amusantes.
Vous connaissez le «polluriel»? C’est la traduction suggérée du «spam», ces messages agaçants envoyés à tout le monde dans un groupe de discussion et qui n’ont pas de lien direct avec le sujet discuté. On parle aussi de «pourriel» (contraction de poubelle et courriel) dans le cas d’un courrier électronique commercial non-sollicité (en anglais «junk mail»).
Le «chat» devient le barvardage en ligne ou, pour ceux qui n’ont pas peur des néologismes, le «clavardage». Et le «hot chat», c’est à dire les discussions virtuelles à caractère érotique? La «bavardrague», bien sûr…
La Foire aux questions (FAQ) de l’Office de la Langue Française permet aussi de dénicher des informations intéressantes. On y retrouve par exemple une réponse à l’éternelle question sur la nature du Net: doit-on dire «j’ai trouvé cette information sur internet, sur l’internet, dans internet ou dans l’internet?»
L’emprunt aux langues étrangères n’est pas un phénomène nouveau et les Québécois ne font pas exception (par exemple, ils «tombent en amour» – de l’anglais «falling in love» -, une expression qui laisse généralement les Européens perplexes). Mais est-ce parce que l’utilisation d’internet a mis du temps à s’implanter en Europe que les francophones ont adopté une terminologie aussi anglicisée? Les Québécois seraient-ils tout simplement un peu paranoïaques par rapport aux questions linguistiques, comme me l’ont souvent fait remarquer certains autres francophones?
Au moment où la mondialisation nous apporte son lot de craintes face à l’américanisation de la société, il me paraît pourtant justifié de vouloir faire du cyberespace un lieu de diversité où toutes les langues ont leur place et où tous peuvent profiter des retombées de cette nouvelle économie, sans avoir à s’exprimer en anglais. Bien nommer les choses, c’est un peu se les approprier.
It’s up to you, comme ils disent.
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Martine Pagé, journaliste, habite au Québec. Elle a longtemps travaillé à San Francisco pour le magazine PC World avant de tenir une chronique régulière sur Largeur.com.
