Chaque semaine Christophe Gallaz saisit au vol un mot lié à l’actualité. Suite au voyage dans l’espace du milliardaire américain Dennis Tito, il a choisi aujourd’hui le nouveau «touriste».
Jusqu’à ce dernier week-end, la signification du mot «touriste», provenant du terme anglais «tour», qui désigne le «voyage», paraissait simple. Mais l’envol à Baïkonour du milliardaire américain Dennis Tito (prénom et patronyme évidemment formidables, à mi-distance des Rocheuses et des Balkans) a tout changé – à moins qu’il ait tout révélé, plus précisément, de l’acception principale revêtue désormais par le vocable.
Observons d’abord qu’en sa qualité de premier flâneur privé dans l’espace, Dennis Tito a suscité des réactions mélangées au sein de maintes instances étatiques et scientifiques internationales.
Pourquoi? D’une part, parce qu’il a versé vingt millions de dollars pour financer son escapade; et d’autre part, parce qu’il annonce l’irruption du public dans des milieux devenus forcément élitaires à force de spécialisation, où règnent par conséquent des réflexes considérables d’autoprotection.
Autrement dit, Dennis Tito dérange autant qu’il intéresse, inaugurant une équation pleine d’avenir qui rénove le mot «touriste». Celui-ci n’évoquera plus seulement, comme prétendent les Grand et Petit Robert, «une personne qui se déplace pour son plaisir». Il sera quelqu’un qui paie cher le droit de sillonner son propre univers abusivement décrété zone réservée.
Par exemple, le citoyen paiera pour accéder au droit d’intervenir dans l’organisation de sa propre cité. Le piéton paiera pour accéder au droit de marcher sur les trottoirs de sa propre ville.
Le salarié lui-même paiera pour accéder au droit de travailler, et finalement à celui d’être rétribué. Et vous, autant que moi, paierons pour accéder au droit de sentir souffler la brise, d’assister aux levers autant qu’aux couchers du soleil, de voir les saisons défiler.
Nous n’en sommes pas loin, d’ailleurs, qui payons déjà pour boire un peu d’eau plate et voyons se multiplier depuis quelques mois, dans les mégalopoles industrielles à la pointe du moderne, des bars à oxygène pris d’assaut par des chalands suffoquants.
Le processus est donc bien enclenché qui va nous contraindre à payer pour avoir le droit d’être et de dés-être, voire de ne pas être.
C’est une perspective que les peuples, dans leur prescience confuse, formulent depuis des siècles en essayant d’expliquer aux petits enfants que la vie n’est pas un cadeau: ça se gagne, sur Terre comme au Ciel.
