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Quand il est trop tard pour rompre

C’était la dernière fois. Elle le savait. Elle le voulait. Pour le lui annoncer, pour être certaine de ne pas fléchir, elle avait écrit un texte. Elle lui dirait d’abord: «Max, tu es allé trop loin. Je ne veux plus de toi. Je te quitte».

Elle avait répété sa tirade une quinzaine de fois. C’est sûr, elle n’en voulait plus. Plus de cette liaison qui ne lui apportait rien; plus de ces rendez-vous à l’hôtel en plein après-midi; plus de ces téléphones contraints; plus de ces voyages clandestins où elle le rejoignait, souvent à ses frais, le soir dans des petites villes de province où il donnait des conférences.

Plus de ces cadeaux sans imagination qu’il lui faisait in extremis pour la retenir encore une fois; plus de ses fleurs livrées chaque lundi à 14 heures avec la régularité d’un métronome (quelle tristesse avait-elle éprouvée quand elle apprit qu’il passait commande trois mois à l’avance, pour elle et sa femme!); plus de ces «mais tu dois comprendre», «je n’ai pas le choix», «c’est pour notre bien».

Fini! Elle ne voulait plus entendre parler de cet homme que le temps avait rendu plus distrait que distant.

C’était décidé. Elle voulait rompre. D’ailleurs elle ne l’aimait plus. Sinon, comment expliquer que ses mains sur son corps ne lui fassent plus le même effet, que ses «je t’aime» criés dans la jouissance lui paraissent grossiers, que ses départs précipités après l’amour puissent désormais la soulager? Elle ne l’aimait plus, ce serait facile de le lui dire.

Mais elle tenait à rompre en beauté. Elle avait été privée d’une histoire d’amour; au moins serait-elle maître de la rupture.

C’est pourquoi elle avait tenu à l’inviter chez elle pour lui faire le grand jeu: une table somptueuse, du champagne et les quenelles de brochet à la sauce Nantua qu’il aimait tant. Elle aurait brûlé son Joker de vie (elle croyait à cette superstition selon laquelle chaque être humain dispose une fois dans son existence d’une carte qui fait basculer son destin) pour être irrésistible ce soir-là.

Après de longues heures passées dans son dressing-room, elle avait opté pour la robe noire Saint-Laurent, décolletée dans le dos, et les escarpins Ferragamo achetés en solde l’été dernier. Depuis longtemps, elle ne s’était pas préparée ainsi. Sa beauté devait être une cruauté. Elle voulait qu’il la regrette. Elle voulait se venger de tant d’années d’ombre. Elle avait envie qu’il paye. Elle était prête.

Elle était prête, mais il n’était toujours pas là. Après trois quart d’heure d’attente, elle l’appela sur son portable. La boîte vocale l’invita à laisser un message. Elle préféra se taire. Elle avait sa dignité. Elle alla à la salle de bains, se remit du rouge à lèvre, s’alluma une cigarette, se versa un fond de Porto. De retour au salon, elle tenta encore une fois de le joindre. En vain. Elle alluma la télé, se remit du parfum, éteignit les bougies pour qu’elles ne se consument pas trop vite.

Elle rappela son téléphone portable. Toujours rien sinon cette atroce boîte vocale devenue sa rivale. Faisant fi de tout orgueil, elle laissa un message: «Où es-tu? je t’attends. Réponds-moi même si c’est pour me dire que tu viens pas.» Elle se sentit oppressée, trahie encore une fois, délaissée comme toujours.

Elle comprit surtout sa stupidité: quitte-on quelqu’un qui vous a déjà quitté?