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Presse en ligne: retour au papier

«L’imprimerie est un dinosaure». L’affiche géante, teintée d’ironie, annonçait en décembre sur les murs des villes américaines l’arrivée d’un nouveau mensuel: Inside, un magazine entièrement consacré aux informations du monde des médias, de la télévision, et du cinéma.

L’ironie? Inside n’est autre que la déclinaison sur papier de Inside.com, magazine en ligne né il y a une petite année. Et voici que cette version imprimée vient de trouver un repreneur. Un partenariat a été conclu avec Brill’s Content, l’infatigable mensuel de la vie médiatique américaine. Dès l’été, place à un seul magazine dont le titre sera Inside Content.

Les péripéties d’Inside ne sont pas passées inaperçues outre-Atlantique, d’autant que ses œillades à la presse imprimée ne sont pas un cas isolé. Newsweek titrait sarcastiquement en janvier: «Retour vers le futur: nouvel horizon, la bonne vieille presse».

Avant Inside, le magazine en ligne Space.com, fondé par Lou Dobbs, un ancien de CNN, a connu en septembre un passage au papier sous le titre «Space Illustrated». Mais la conversion la plus remarquée fut celle de Nerve.com, un site érotique haut gamme et littéraire. Il y a un an, il a lancé sa revue Nerve sur papier glacé, avec un tirage initial de 50’000 exemplaires, et qui monte aujourd’hui jusqu’à 70’000.

Nerve n’entend pas en rester là. Ses éditeurs ont vendu un de leurs articles sous forme de scénario à la chaîne HBO pour la production d’une série TV érotique. Les synergies doivent se poursuivre.

Dans un article d’Inside.com, Genevieve Field, la co-fondatrice de Nerve.com, déclarait: «Notre magazine est le lieu idéal pour publier de longues histoires avec des photos, et les photos nous aident à vendre des histoires aux boîtes de productions.»

D’autres journaux en ligne s’étaient essayé diversement au papier. Slate.com, leader depuis l’automne devant Salon, a publié coup sur coup deux livres regroupant des articles paru sur le site. Le premier recueil contient les désormais célèbres «bushisms», soit les barbarismes infligés à la langue de Shakespeare par W, qui avaient fait de Slate.com un passage obligé pendant la compagne présidentielle. Le deuxième, sobrement intitulé «The Slate Diaries», rassemble les articles publiés sous la rubrique du même nom par un auteur différent chaque semaine.

Cette évolution du Net vers le papier ne surprend pas les analystes pour une raison évidente: la maigre rentabilité des projets initiaux. Comme une grande partie des dot.com, les magazines en ligne se sont trompés dans leurs prévisions financières, comptant trop sur une pub qui n’a finalement pas généré les revenus escomptés.

«Le Net n’est pas un endroit où on lit des choses, mais où on fait des choses», analyse froidement Robert Hertzberg, consultant chez Jupiter, spécialiste et fossoyeur à ses heures des nouveaux médias. «Salon est le meilleur exemple d’un succès artistique mais d’un désastre financier», poursuit cet analyste convaincu que la viabibilité des journaux en ligne passe par le bon vieux papier. «Il faudra encore du temps pour que les surfeurs acceptent de payer pour du contenu online», conclut-il.

Sans doute. Et c’est là que le bât blesse pour les éditeurs en ligne. Leurs informations sont généralement appréciées, mais les lecteurs ne sont pas encore prêts à délier leur bourse pour y accéder. Slate, Salon et Inside.com s’y sont cassés les dents. Toutes leurs tentatives de vente de contenu ont été des échecs.

Annoncer la mort prochaine des magazines en ligne serait cependant hasardeux. Des analystes moins pessimistes que Hertzberg croient aux synergies avec d’autres médias, voire même entre médias en ligne, par l’échange de contenu notamment. Et surtout, le Net autorise des développements uniques: «Le mail, la voix, les chat-rooms», détaille Justin Post, analyste de Deutsche Bank.

Alex Brown, dans le New York Times, suggère aux journaux en ligne d’exploiter au maximun ces outils qui permettent un usage différencié de l’info et surtout de créer des communautés.

Un fait demeure. Selon l’institut d’audience Jupiter Media Metrix, l’audience des magazines en ligne croît plus rapidement que celle de n’importe quel autre media, comme ce fut le cas pour la radio ou la télé à leurs balbutiements. Un constat qu’exploite Scott Moore, l’éditeur de Slate, rappelant qu’à ses débuts personne ne misait sur la télévision. Il oublie de rappeler que Slate a derrière lui un poids lourd: Microsoft. Le plus lu des magazines en ligne a donc le temps de son côté.

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Maria Pia Mascaro vit et travaille à New York. Elle collabore régulièrement à Largeur.com.

Premier magazine en ligne de langue française, Largeur.com réfléchit actuellement au développement d’une version imprimée.