LATITUDES

L’«after», pendant d’un présent imparfait

Chaque semaine, Christophe Gallaz attrape au vol un mot d’actualité. Aujourd’hui, ou alors demain: l’«after».

J’aurais bien voulu consacrer mon texticulet de cette semaine à l’adverbe d’origine anglo-saxonne «after», devenu d’un emploi courant dans la langue française en tant que substantif ou que préfixe.

Comme vous le savez, il n’est plus de soirées parisiennes et désormais romandes sans «after», ni de «plans after» les plus démentiels qui se puissent à Lausanne ou Genève, ni même d’«afters dantesques» organisés dans les zones rurales fribourgeoises ou valaisannes.

J’aurais donc entrepris d’exposer à mes lecteurs que la mode de l’«after» appelle au moins deux sortes d’explications. La première? Nous sommes si sommés d’exister dans l’instant présent que seul nous tente l’«après» – qui n’est pas l’avenir, attention: l’«après», c’est seulement cette phase de déconcentration personnelle durant laquelle nous cherchons à nous débarrasser de nous-mêmes en nous laissant gagner par des sentiments de vide ou de vacuité, d’indifférence ou d’apesanteur.

La seconde? L’inverse! Nous craignons tellement que l’instant présent s’achève, ce qui nous inciterait à pressentir notre propre extinction, que nous nous efforçons de le prolonger à l’infini.

En somme, j’aurais suggéré que nous sommes en conflit avec deux notions: d’une part avec celle du temps qui passe, d’autre part avec celle du geste et de l’acte. J’aurais avancé l’hypothèse que nous sommes terrifiés par les processus du commencement et de la fin (c’est-à-dire par ceux de la naissance et de la mort), et par ceux de l’accomplissement.

J’aurais ajouté que le rêve de chacun, aujourd’hui, consiste à pouvoir atteindre un état de suspension rentable et d’irresponsabilité bénéficiaire. J’aurais précisé que nous voulons tous devenir des a-citoyens prospères et narcissiques qu’obsède une seule ambition, celle de ne pas disparaître, et par conséquent celle de s’autocloner de toutes les manières possibles.

Or j’entretiens moi-même un rapport extrêmement complexe avec l’égrènement des heures, et j’évalue très imprécisément la ligne de mon propre destin en ce début de siècle. Autrement dit il est maintenant plus de 17 h, je n’ai encore rien écrit depuis ce matin, pas une seule ligne, et je me sens pourtant en plein «afterwork».

Je zigzague mentalement dans les jachères de la société qui m’environne, pour y solliciter vaguement l’acquiescement de quelques congénères dont par ailleurs je me fous, tandis qu’un caniche passe imbécilement sur le trottoir d’en face. Ah, mes amis, la vie! Qu’y faire? Quand? Comment? Pourquoi? Et pour combien, surtout?