La firme de Steve Jobs est à nouveau aux avant-postes de la modernité. Elle vend aujourd’hui quatre iMacs par minute. Mais elle doit encore relever plusieurs défis décisifs.
Je devais avoir à peine 13 ans quand j’ai allumé pour la première fois un Macintosh, chez des amis de mes parents. C’était un 512k, successeur du premier Mac, le mythique 128k. «Bienvenue sur Macintosh», disait l’écran de démarrage. Il n’en fallait pas plus pour me fasciner. J’ai torturé mon père pendant trois ans jusqu’à ce qu’il achète un de ces joyaux hors de prix, un Mac SE, qui coûtait près de 6000 francs suisses (24’000 francs français) à l’époque, en 1987.
Au début de 1997, lorsque tous les économistes annonçaient la mort de la firme à la pomme, j’avais donc de bonnes raisons d’être sentimentalement affecté. Comment accepter la disparition de cette entreprise mythique, qui m’avait fait aimer l’informatique au point que je décide d’en faire mon métier? Tous les passionnés de Mac devaient cependant voir la réalité en face: Apple avait cumulé un nombre incalculable de gaffes. Et lorsque le petit veut lutter contre le gros, il n’a pas droit à l’erreur.
Jusque là, le constructeur de Cupertino jouait sur la différence, non seulement de son interface et du look de ses machines, mais de sa clientèle. Le possesseur de Macintosh se sentait appartenir à une sorte d’élite, un peu comme ces conducteurs de monospace ou de 4×4 qui regardent les autres automobilistes de haut. Sous la pression d’un marché hyperconcurrentiel, Apple a commencé à multiplier les modèles et les gammes: LC, si, vx, vi, Centris, Quadra, Performa, jusqu’à devenir une jungle de produits aussi envahissante et incompréhensible que le monde PC.
Pire: Apple avait décidé, en 1995, de vendre sous licence son système d’exploitation et d’ouvrir ainsi le marché aux clones. Le Mac était alors devenu un produit informatique parmi d’autres: une boîte beige avec une souris, un écran et des fenêtres. D’autant que Microsoft venait de lancer Windows 1995, mauvaise copie, soit, mais copie finalement efficace du système d’exploitation MacOS.
Cette banalisation d’Apple me désolait, à tel point que j’envisageais l’achat d’un PC, moins cher et finalement assez semblable. Et puis, il y a eu l’iMac. Je ne suis pas un inconditionnel de cette machine translucide, mais j’y ai retrouvé les deux éléments fondateurs d’Apple: l’originalité et la simplicité.
L’iMac a été rapidement adopté par le grand public. Son design s’est imposé comme un véritable différentiateur, tout en étant parfaitement adapté à l’époque easy living de la fin de la décennie. Un succès comme on n’en espérait plus.
Au 31 mars 1999, Apple avait vendu 1’150’000 iMacs, ce qui correspond à une machine vendue toutes les seize secondes dans le monde depuis son lancement en août 1998. Le 14 avril dernier, la compagnie annonçait un profit de 135 millions de dollars pour son dernier trimestre, durant lequel elle a vendu plus de 350’000 iMacs.
J’aimerais applaudir des deux mains, mais j’ai encore des réserves, et je ne suis pas le seul. Il manque de nombreuses qualités aux machines d’Apple, iMac compris. La mémoire protégée, qui permet à plusieurs applications de travailler en même temps sans se gêner mutuellement, fait toujours cruellement défaut au MacOS, y compris dans la toute nouvelle version 8.6. Tout comme le parallélisme préemptif, qui augmente considérablement la fiabilité des programmes puisqu’il autorise à tout moment l’usager à reprendre le contrôle de la machine. Résultat: Apple n’a pas réussi à s’imposer dans le monde des serveurs, contrairement à Microsoft qui, avec la version NT de Windows, équipe la majorité des gestionnaires de courrier électronique et les sites Web de la planète.
Pour combler ce retard, Apple vient de lancer Mac OS X server, un système d’exploitation destiné aux serveurs d’entreprise, basé sur un noyau Unix (le système d’exploitation réputé comme l’un des plus fiables de l’industrie). La version grand public de Mac OS X sera disponible au début de l’an prochain. Ce produit, attendu depuis très longtemps, sera décisif pour le constructeur. S’il tient sa promesse et réussit à coupler l’élégance et la facilité d’utilisation du Mac avec la puissance d’Unix, son succès est déjà assuré.
