CULTURE

Une grève en cinémascope

Les syndicats de scénaristes et d’acteurs américains se préparent au débrayage. Une grève dans l’usine à rêve? Explications.

Hollywood n’avait plus vécu pareille frénésie depuis des années. Les heures de travail ont doublé, les figurants courent d’un tournage à l’autre, les scénaristes n’ont jamais autant écrit et les chaînes de TV amoncellent les épisodes de séries pour assurer la saison d’automne. Même les stars n’arrivent plus à suivre, sollicitées comme elles l’ont rarement été.

Matt Damon a ainsi renoncé au dernier moment à donner la réplique à Tom Cruise dans le prochain Spielberg, «Minority Report» pour honorer un contrat déjà passé pour le policier «The Bourne Identity». Il ne s’agissait pas d’un caprice de star…..La menace de grève des scénaristes et des acteurs sème un vent de panique sur la colline des rêves. Et le souvenir du débrayage de 1988 est dans tous les esprits, même si le temps d’une soirée, celle d’une cérémonie des Oscars assommante d’ennui, les professionnels de la profession se la sont joués culturellement-correct….s’abstenant d’évoquer le contentieux.

Depuis des mois, Hollywood se prépare en effet au pire. Le dernier round des négociations entre la Guilde des scénaristes et l’Alliance des producteurs de films et de séries télévisées a abouti à une impasse. Les différends sont multiples et portent aussi bien sur la rémunération des scénaristes que sur la reconnaissance de leur apport à la création d’un film. «Le marché du film a changé: pendant des années les supports de distribution se limitaient aux salles et à la télévision, explique Cheryl Rhoden, vice-directrice de la Guilde des scénaristes à Los Angeles. Aujourd’hui la distribution par vidéo, DVD, sur internet, par les chaînes payantes et à l’étranger a explosé, générant des millions de dollars supplémentaires pour les producteurs. Nous réclamons aujourd’hui notre part du gâteau («les residuals» en jargon cinématographique). Nous avons été accomodants pendant des années, le temps que ces nouveaux supports trouvent leur public.»

Autre son de cloche du côté des producteurs qui vont jusqu’à affirmer que les prétentions des scénaristes menacent l’industrie toute entière de faillite. Leur argument? S’ils entrent en matière dans ce cas particulier, les autres petites mains de la profession suivront, entendez les cols bleus, les costumières, les maquilleuses, les techniciens, etc. (Ils évitent de mentionner les acteurs et actrices, leur prochain bras de fer, mais avec lesquels les négociations n’ont pas commencé, chacun attendant de connaître le sort réservé aux scénaristes).

Depuis la rupture des négociations au début mars, syndicats et producteurs se livrent à une guerre de chiffres. La Guilde, emmenée par John Wells, le scénariste de la série «Urgences», réclame une augmentation de 12,5%, les producteurs ont offert 9%. Les premiers affirment que le salaire moyen d’un scénariste après adaptation serait de 84’000 dollars par an (142’000 francs suisses), les producteurs avancent le chiffre de 200’000 dollars (340’000 francs). «Les implications d’une grève seraient désastreuses, nous sommes terrifiés, et ceux qui disent le contraire mentent», affirmait jeudi dernier Jeffrey Katzenberg, le co-patron de Dreamworks, la boîte de production fondée par Steven Spielberg.

Les chaînes de TV ont le plus à craindre d’une grève, même si elles se sont constitué des réserves d’épisodes de séries pour parer au plus pressé. La programmation des chaînes en serait néanmoins fortement touchée. Place à encore plus de reprises et de reality shows avec le risque de perdre des spectateurs qu’elles ne refidèliseront qu’à grand peine, si l’on en croit l’expérience vécue en 1988. «Les chaînes avaient aussi perdu des centaines de millions de dollars en revenus publicitaires», poursuit Cheryl Rhoden qui croit encore à une solution négociée avant le terme de la convention collective, début mai.

L’impact sur la distribution en salle est plus difficile à estimer. Là encore, des stocks ont été prévus. Une grève pourrait cependant favoriser les productions indépendantes qui ne sont pas tenues par la convention collective et la distribution de films étrangers pour satisfaire la demande. On en vient presque à souhaiter une petite grève, histoire d’avoir enfin sur les écrans new yorkais des films sortis il y a plus de deux ans en Europe et qu’on ne peut généralement s’offrir… qu’en vidéo, ou en DVD. Justement.