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Puff Daddy, le rap au tribunal

Dès mon arrivée au tribunal, je sens que l’ambiance n’est pas ordinaire. La fouille à l’entrée est méticuleuse. Au 7e étage du State Supreme Court de Manhattan, une petite dizaine de flics est postée devant l’entrée de la Chambre 733. Visiblement, on craint les débordements.

Il est vrai que l’accusé n’est pas tout à fait ordinaire. Sean John Combs, alias Puff Daddy, 31 ans, magnat du rap et accessoirement styliste dont la ligne de vêtements, Sean John, connaît un succès foudroyant à New York, est accusé de port illégal d’arme et de corruption de témoin. Des bagatelles passibles de 15 ans de prison.

Après quelques formalités, je finis par obtenir mon droit d’entrée. Un coup de chance: il ne reste plus que deux places dans les trois rangées réservées à la presse. Tout le gratin journalistico-mondain new yorkais est là: les tabloïds bien sûr, la presse réputée sérieuse, MTV, les chaînes locales. Même Bloomberg «qui fait maintenant aussi de l’info géné», m’explique leur correspondant, suit le procès au jour le jour. Apparemment, Puff Daddy fait vendre.

Puff, lui, est méconnaissable, assis entre ses deux défenseurs, des ténors du barreau, dont Johnnie Cochran, l’avocat noir le plus célèbre du pays depuis qu’il obtenu l’acquittement de l’ex-footballeur O.J. Simpson. Pour peu, on prendrait Puff pour un gentil collégien pris en flagrant délit de fumette avec sa chemise blanche, son polo vert olive et son pantalon khaki. La superbe est restée au vestiaire, comme les chaînes en or massif, les bagues de diamants et les costards flamboyants. Oubliée l’image du rapper flambeur et arrogant.

Le jury a en face de lui un brave jeune homme, soutenu moralement par sa mère, blonde platine imperturbable et présente à chaque audience. Tout le monde a noté l’absence d’une autre femme, la petite amie de Combs, la star latina Jennifer Lopez, pourtant aux côtés du rapper le soir des incidents pour lesquels il a été épinglé. Puff Daddy vient de reconnaître par communiqué de presse que la romance a tourné court. Dur Saint Valentin.

Les circonstances l’ayant conduit sur le banc des accusés sont pour le moins troubles. Le soir du 26 décembre 1999, Sean Combs passe la soirée au Club New York près de Times Square. A la suite d’une altercation avec un client, son protégé, le rapper Jamal «Shyne» Barrow, tire dans la foule, blessant trois personnes. Des faits attestés. Barrow est du reste accusé de tentative de meurtre. Combs aurait, lui, tiré en l’air. Mais les témoignages sont contradictoires.

Ensuite, le groupe prend la fuite dans la Lincoln Navigator de Puff Daddy. En chemin, le rapper se serait débarrassé d’une arme retrouvée par le chauffeur d’une compagnie d’«escort girls». Pour le procureur, le dossier repose tout entier sur cette arme. Il doit prouver qu’elle appartient au rapper. Et seul un témoin abonde dans son sens. Le chauffeur de Puff qui affirme avoir vu son boss cacher un flingue dans sa ceinture avant d’entrer au club.

La défense, elle, entend jouer la «carte raciale». Et d’affirmer que le procureur s’en prend à Puff sous prétexte qu’il est riche, noir et célèbre. Indirectement, elle dénonce le procès intenté au rap tout entier. Contre la violence, l’homophobie et la misogynie de certains de ses paroliers, contre la glorification de la vie de gangstars.

Le procureur en chef du dossier, Robert Morgenthau, avait déjà agrafé, avant Puff, des rappers comme feu Tupac Shakur, Naughty By Nature et Ghostface Killah du Wu Tang Clan. Et la polémique fait rage. Entre ceux qui ont déjà crucifié Puff Daddy et ceux qui veulent en faire le martyre d’une scène musicale souvent dérangeante, provocatrice et très politically incorrecte.

Drôle d’ironie. Car si Puff est connu pour son tempérament agité, il a peu à voir avec les «mauvais garçons» du rap, malgré le nom de sa compagnie Bad Boys. S’il est né à Harlem, sa mère l’a élevé dans une banlieue cossue de New York après le meurtre de son père quand il n’avait que deux ans. S’il n’a pas forcément connu une enfance dorée, il a fréquenté d’excellentes écoles, Montessori et catholiques notamment, de même que l’université avant de faire un stage dans une maison de disques où il se fera remarquer pour son sens des affaires.

Car avant d’être un musicien, Puff Daddy est un businessman, doué d’ailleurs. Ce qui ne lui pas valu que des amitiés car il a souvent été accusé d’avoir dénaturé et commercialisé l’essence du rap. Ses deux disques «No Way Out» et «Forever» ne sont du reste pas inscrits au panthéon de la discographie du genre.

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Maria Pia Mascaro, journaliste, vit à New York. Elle est l’une des correspondantes régulières de Largeur.com.