Dès son départ de Washington, je m’étais réjouis, comme le plus grand nombre des citoyens new-yorkais, à l’idée que Bill Clinton viendrait s’installer en ville. Quel inépuisable sujet il ferait pour la «page six» du New York Post, la chronique mondaine la plus lue parce que la plus assassine de la ville, et accessoirement pour la mienne, m’étais-je dit. Une semaine après son statut retrouvé de «citoyen», je filais vers Chappaqua (la banlieue dorée où les Clinton ont élu domicile) dans l’espoir avoué de voir l’ex-président, de lui lancer même une question ou deux.
Je restai discrète sur ce pèlerinage, par crainte de passer pour une groupie. Je me suis ravisée quand j’ai appris que la chroniqueuse la plus célèbre du New York Times, Maureen Dowd (primée par le Pulitzer), s’y était rendue elle aussi. J’ai donc vu la vaste demeure en bois blanc des Clinton. Si j’ai apprécié son architecture, j’ai vite douté que Bill trouverait dans cet endroit à l’ennui si palpable occupation à son goût. Hormis deux ou trois restaurants et quelques magasins d’antiquités, Chappaqua est triste à mourir. Pas un ciné, pas une boîte de nuit, rien.
Et puis, j’ai même douté de l’accueil que lui réserverait New York, qui n’en est pourtant pas à une hystérie près. Le scandale du pardon accordé au financier Marc Rich a méchamment terni des adieux présidentiels que Bill Clinton aurait souhaité plus clinquants. La banque Morgan Stanley, qui s’était enorgueillie d’avoir décroché son premier discours public pour lequel elle a déboursé entre 100’000 et 150’000 dollars, a piteusement battu en retraite quelques jours plus tard après les plaintes de plusieurs clients outrés.
A ces débats politiques se sont ajoutées quelques controverses plus politiciennes. Une poignée de Républicains s’en sont pris au loyer (738’700 dollars annuels) que Clinton s’apprêtait à payer pour des bureaux au 56e étage de la luxueuse tour du Carnegie Hall. L’adresse est prestigieuse. Et le loyer, pour qui connaît le marché immobilier new-yorkais, n’est que tristement aligné sur les prix en vigueur dans l’île la plus chère du monde. La proposition de Bill Clinton de prendre en charge près de la moitié de cette somme par sa fondation privée n’a pas tari les critiques (le loyer des bureaux des ex-présidents est payé par le contribuable).
Et puis lundi soir, cette rumeur: Bill Clinton lâcherait Midtown pour installer ses bureaux à Harlem, sur la 125e Rue, à deux pâtés de maisons du célèbre théâtre Apollo. Mardi dès la première heure, je filais à l’adresse indiquée. Et j’ai eu plus de chance qu’à Chappaqua. Bill Clinton était attendu d’une minute à l’autre par une presse locale extatique. Son apparition, vers midi, tenait plus de celle d’une star du rap que d’un politicien soi-disant sur le déclin.

«We love you, we love you Mister President», hurlait la foule rassemblée sur le trottoir. J’ai cherché en vain parmi les badauds un opposant à l’installation à Harlem de cet hôte si encombrant pour certains. «C’est génial, c’est le meilleur de nos présidents», s’exclame Fatumata Traore, 18 ans. «Il a fait tellement pour les minorités, et ça amènera des boulots dans le quartier», explique Karin Smith, 32 ans. «Bienvenue Mister President! Clinton a du sang noir dans les veines, n’oubliez pas qu’il a été élevé par une nanny noire, ça se sent, il sait comment nous vivons», renchérit Mark Morrison, 39 ans.
Quand il réussit enfin à calmer ses fans, Bill Clinton explique que ce transfert à Harlem lui a été suggéré pendant le week-end. Il en parlé à Hillary, «son sénateur», qui a tout de suite trouvé l’idée formidable. Quelques détails doivent encore être réglés, mais le deal est quasiment scellé. Le loyer se montera à 210’000 dollars par an pour une surface de 720 mètres carrés au 14e étage de l’édifice le plus élevé du quartier. La vue sur Central Park y serait «breathtaking» (à couper le souffle).
Le coup médiatique, lui, est certainement à couper le souffle. Un ex-président américain, s’intallant à Harlem, en pleine ère républicaine…. Mark n’a peut-être pas tort, ni surtout l’écrivain Toni Morrison qui osa affirmer en 1992 que les Etats-Unis avaient élu le premier président noir du pays. Bill Clinton est, en tous les cas, le nouveau roi de Harlem.
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Dessin: Alexia de Burgos