LATITUDES

Y aura-t-il des cadeaux cool à Noël?

Mais d’abord, que signifie vraiment ce mot «cool» qu’on utilise à tort et à travers? Deux livres plutôt calés se penchent sur la question. Et pourquoi pas les offrir? Autre possibilité: une journée warholienne du côté de Bâle.

«Dis donc, tu n’aurais pas des idées de cadeaux cool pour Noël?» Pas facile. D’abord, il faut se mettre d’accord sur la définition du mot «cool». Tout le monde use et abuse de cet adjectif sans trop savoir d’où il vient. Qu’est-ce qui est cool et qu’est-ce qui ne l’est pas?

Pour ceux qui s’intéressent à la question, deux livres d’un bleu très cool permettent de voyager de Diogène aux Sex Pistols en passant par James Dean sur les traces de la «coolitude». Et voilà déjà deux cadeaux cool! Un troisième pourrait prendre la forme d’une invitation à l’exposition bâloise du pape de l’esthétique cool, Andy Warhol en personne.

C’est la jolie gueule de James Dean qui a attiré mon attention sur la couverture de «Cool Rules, Anatomy of an Attitude» de Dick Pountain et David Robins (Reaktion Books, London). Feuilleter l’ouvrage, c’est avoir envie de l’acheter. Ses auteurs, parents d’adolescents, relèvent l’usage du mot «cool» comme un terme d’approbation appliqué à différents objets, situations ou personnes.

Par la même occasion, Pountain et Robins se demandent ce qu’il y a de commun entre leur définition du cool et celle de leurs enfants. Deux générations, deux acceptions différentes du même mot. La nouvelle génération s’évertuant à redéfinir et à rejeter l’ancienne forme de coolitude .

Le premier chapitre débute en 1999 avec le licenciement de 6’000 ouvriers de la firme Levi Strauss dont les jeans n’étaient plus suffisamment cool. Le fabricant apprenant ainsi, à ses dépends, que le cool n’est pas une propriété intrinsèque du produit. Ce qui est perçu comme cool est amené à changer avec le temps. Déjà portée par les parents, la paire de Levi’s a perdu sa connotation rebelle. D’où le succès, pour un temps, de Calvin Klein et de Tommy Hilfiger chez les jeunes.

Pountain et Robins n’hésitent pas à rechercher jusqu’au troisième siècle avant Jésus Christ, en Afrique, les premières traces du cool. Au fil de cette longue et surprenante histoire, on voit surgir le stoïcien Diogène, le politicien Marcus Garvey (père du slogan «keep cool»), des jazzmen aux sons suggestifs de cette attitude, la couleur bleue et le blues, Elvis Presley et tant d’autres célébrités .

Le mot «cool» est fuyant et peut se transformer à la vitesse de l’éclair en son exact contraire. Les auteurs analysent différents mouvements d’art, de cinéma et de littérature pour montrer – ô surprise – que ce qui a commencé par une posture rebelle adoptée par des minorités est devenu un courant synonyme de «dans l’air du temps». Qu’en est-il aujourd’hui de ses trois traits distinctifs que sont le narcissisme, le détachement ironique et l’hédonisme?

D’état permanent de rebellion privée, le cool s’est laissé séduire par la consommation. Les publicitaires ont accaparé ce label pour créer un bricolage de style et de divertissement destiné à «influencer la manière de penser des gens à propos d’eux-mêmes et de leur société».

Pour toutes ces raisons, le livre de Pountain et Robins constitue un excellent cadeau qu’on destinera tant aux babas nostalgiques de l’époque où le cool était vraiment cool qu’à leurs enfants désireux d’employer en toute connaissance ce vocable passe partout.

Pour poursuivre l’exploration du phénomène cool, les plus curieux pourront se procurer le livre en allemand d’Ulf Poschardt, intitulé tout simplement «Cool» (éditions Rogner & Bernhard bei Zweitausendeins, Hamburg). Son constat: notre culture gèle. Et nous avec.

L’état des postmodernes au début du XXIe siècle se caractérise par un vide global et universel. Une esthétique de la surface lisse et fraîche a remplacé les représentations «heimelig» d’un monde intérieur chaud. Pour éviter le gel, des stratégies pragmatiques et héroïques de survie se sont développées. «Cool» est l’histoire de ces stratégies, de leurs victoires et de leurs défaites, de leur bêtise et de leurs traits de génie.

Au-delà des modes de vie et des attitudes cool, Poschardt décrit non seulement l’état de la civilisation occidentale mais découvre dans les gestes et les images cool la semence de techniques de vie du futur: un laboratoire pour la quotidienneté de demain. Offrir ce livre en cadeau? A la rigueur, mais seulement à ceux qu’une lecture en allemand niveau «avancé» ne rebute pas.

A ma connaissance, le cool n’a fait l’objet d’aucune parution en langue française. Les francophones qui cherchent un cadeau cool peuvent toujours se tourner vers l’art et offrir un billet d’entrée à l’expo «Andy Warhol – Series and Singles» (jusqu’au 7 janvier à la Fondation Beyeler de Riehen, accessible en tram depuis la gare de Bâle).

Excellent observateur de son époque, Warhol incarne, dans les deux livres cités plus haut, l’artiste cool par excellence. De la société de consommation, il a fait le sujet phare de son œuvre. Peu d’artistes ont autant influencé notre manière de voir et de penser que l’homme aux 200 perruques et aux milliers de chaussures.

L’expo de la Fondation Beyeler permet de découvrir quelques films cool de Warhol: «Kiss», qui présente deux personnes s’embrassant pendant 54 minutes, ou «Sleep», 45 minutes de son premier film de six heures montrant un interprète endormi.

Les sérigraphies de Marilyn, Jackie et Liz sont aussi au rendez-vous, accompagnées des célèbres dollars et des bouteilles de Coca Cola. Sans oublier la boîte de Campbell Soup dont il disait: «Here it is, isn’t it cool? We can make lots of money from it, and that’s cool too.».

Traduction: «La voilà, elle est cool, non? On peut gagner plein d’argent avec, et ça aussi, c’est cool.»

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Expo Warhol à la Fondation Beyeler jusqu’au 7 janvier 2001.

«Cool Rules, Anatomy of an Attitude» de Dick Pountain et David Robins (Reaktion Books, London).

«Cool», de Ulf Poschardt (éditions Rogner & Bernhard bei Zweitausendeins, Hamburg).