Vous n’avez jamais compris l’engouement des enfants pour ces minuscules créatures? Ni le principe du jeu? Voici quelques éléments d’analyse destinés à tous les adultes de la pokéterre.
Satoshi Tajiri a eu une chance dans sa vie. Celle de croiser un jour la route de Shigeru Miyamoto. Dans l’industrie des jeux vidéo, Miyamoto est considéré comme un génie de la création. C’est lui qui a inventé un certain plombier en salopette nommé Super Mario, l’un des plus gros succès du genre.
S’il n’avait pas rencontré l’inventeur, Tajiri serait resté un otaku comme un autre. Autrement dit un garçon renfermé et tourmenté par ses obsessions comme il en existe des milliers au Japon. Ou peut-être serait-il devenu électricien, comme le voulait son père, un vendeur de Nissan?
Grâce à son mentor, Tajiri a pu transformer sa passion pour les insectes en un jeu de collection qui amuse des millions d’enfants et épuise deux fois plus de parents.

Inutile de chercher à comprendre comment fonctionnent les Pokémon: les bambins semblent être les seuls, avec Tajiri, aujourd’hui âgé de 35 ans, à saisir l’univers de Pikachu et de ses amis. Pour ne pas avoir l’air totalement idiot à Noël quand la conversation s’orientera vers « Pokémon2 », le deuxième long-métrage mettant en scène les bestioles de Nintendo, voici quelques explications de base sur ce drôle de phénomène.
Les Pokémon (contraction de «Pocket Monsters») sont des bestioles imaginaires aux noms étranges comme Kabuto, Bulbizarre, Ortide ou Hypocéan qui apparaissent sur les écrans des Game Boy. Le principe du jeu est simple: vous êtes un éleveur de Pokémon. Votre but est de devenir le meilleur et donc de collectionner le plus grand nombre de bêtes.
Pour agrandir votre collection, vous provoquez des duels entre vos créatures et celles que vous rencontrerez dans le pays Pokémon. Un univers d’aspect terrestre mais presque totalement dépourvu de présence humaine – à part vous (c’est-à-dire Satoshi, l’éleveur que vous incarnez), quelques ennemis, tous des enfants, et le professeur dans le laboratoire duquel commence l’aventure, seul adulte sur cette pokéterre.
Dans ces combats, les Pokémon déploient des coups spéciaux qui blessent plus ou moins l’adversaire. Chaque bête a sa spécialité. Et toutes ne se valent pas. Le coup de griffe est moins puissant que la décharge électrique, pour prendre un exemple à la portée de tous. À la fin du duel, personne ne meurt (les Pokémon s’évanouissent tout au plus), mais le gagnant est gratifié de points. Un bonus qui lui permettra de grandir puis de se transformer en devenant plus puissant. Un Pokémon en renferme donc plusieurs autres.
Ces animaux sont arrivés par un premier lot de 150 individus. Mais depuis la sortie mondiale à l’automne 1999, différentes versions (bleue, jaune, etc.) sont apparues. On approche aujourd’hui les 500 animaux. Cette prolifération, étrange dans un monde asexué, n’est pas innocente. Le slogan lancé par Nintendo est le vrai coup de génie de la firme japonaise: «Attrape-les tous!».
Impossible cependant de le faire en n’achetant qu’une seule version du jeu puisque les bêtes sont disséminées. Pour les attraper, comme jadis pour finir son album Panini de la Coupe du monde de football, il est nécessaire soit de se ruiner, soit d’entrer en contact avec les autres éleveurs afin de procéder à des échanges. Le Game Boy est en effet doté d’un système par câble ou infrarouge qui permet à deux joueurs de communiquer et d’échanger des informations sur leurs appareils.
Le phénomène Pokémon est donc la conjonction de trois éléments: l’imagination d’un gosse complexé qui collectionnait les insectes dans la banlieue de Tokyo dans les années 60, l’avènement du Game Boy au début des années 90 et la possibilité de relier ces consoles de poche entre elles grâce à un câble. Sans oublier bien sûr la force de frappe marketing d’une entreprise prête à tout pour rester leader dans le marché très concurrentiel du loisir vidéo.
Jusque là tout va bien? Parfait, car les choses vont se compliquer. Le concept mou de «multimédia» semble avoir été inventé pour les Pokémon. Voici un jeu, le seul, qui se déploie sur tous les formats qui existent: consoles (Game Boy, N64), télévision, cinéma, web, livres, magazines et cartes à jouer. Ces dernières se vendent par paquet de sept. Elles représentent les fiches d’identité des monstres qu’elles décrivent en valeurs et autres forces qui sont autant de hiéroglyphes pour les non-initiés.
Ces cartes permettent aussi aux monstres de se mesurer en duel. Mais les enfants se sont appropriés cette partie-là du phénomène, dont ils semblent être désormais les seuls agents. Il y a bien entendu le jeu de bataille où la carte la plus élevée l’emporte mais ce n’est pas tout. Une variante bien connue du duel pokémonien est le lancer de carte où le bout de carton qui volera le plus loin aura terrassé l’autre. Les procédures se complexifient ainsi selon l’imagination des bambins.
Dernier élément du mystère Pokémon qui rend son improbable succès encore plus remarquable : son imagerie, disons, très particulière. L’écran du Game Boy est trop fluet pour qu’on y développe une quelconque esthétique. Parlons donc des animations. Les dessins animés japonais, du moins ceux qui sont conçus pour une commercialisation mondiale (souvenez-vous de Candy ou de Capitaine Flam), n’ont jamais été réputés pour la perfection de leurs traits. Question de rationalisation du travail. Mais là, on atteint des sommets.
En général, les enfants deviennent agressifs quand on leur demande si, vraiment, ils trouvent les Pokémon jolis. Ne vous mettez donc pas en tête de poser cette question au moment du dessert. La bûche n’en sortirait pas indemne.
